Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Lunaisiens
œuvres de Batistin, Charpentier, Leclair et Rameau

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade
- 2 septembre 2005
Arnaud Marzorati et Les Lunaisiens à Sinfonia en Périgord
© j.j. chabert | sinfonia

Poursuivant une politique généreuse qui offre à de jeunes talents ses lieux d'expressions, dans le sillage des personnalités musicales les plus reconnues, Sinfonia reçoit ce soir le jeune ensemble Les Lunaisiens, fondé l'an dernier par les chanteurs Jean-François Novelli (ténor) et Arnaud Marzorati (baryton) dans le but d'explorer ensemble un répertoire qui les passionne.

Le violoncelliste d'origine allemande Jean-Baptiste Stuck, dit Batistin, né vers 1680 à Livourne ou à Florence, est arrivé de Naples à Paris dans les premières années du XVIIIe siècle. Tour à tour au service de la Chapelle royale puis du Duc d'Orléans, il contribua à l'entrée du violoncelle dans l'orchestre de l'Opéra, à la fin des années vingt, chassant peu à peu la basse de viole. S'il fut principalement apprécié pour ses nombreuses cantates françaises (quatre livres publiés entre 1706 et 1714), on lui doit quelques tragédies lyriques dont Méléagre, créée à l'Académie royale de musique le 24 mai 1709, Manto la fée, créée à l'Académie royale de musique le 29 janvier 1711, ou encorePolydore, montré au public le 15 février 1720, au même endroit. Sujet de la couronne française à partir de 1733, il produirait également quelques ballets joués à Versailles, avant de s'éteindre à Paris en 1755.

Ouvrant un programme entièrement tourné vers ce qu'on pourrait appeler Les égarements du cœur et de l'esprit et intitulé Le désaccord amoureux par un mouvement pour deux violons et basse continue, extrait de l'Actéon de Charpentier, les instrumentistes des Lunaisiens vouent un soin particulier à la respiration, engendrant calmement une sonorité toujours gracieuse et non moins profonde. Cette manière de faire est défendue par deux acteurs fondamentaux : la violoniste Bérengère Maillard et le claveciniste Bertrand Cuiller. Dans la cantate Tircis de Stuck, l'on apprécie l'extrême prégnance de l'interprétation de Jean-François Novelli qui, comme à son habitude, offre une diction d'une intelligibilité exemplaire, un timbre riche, un chant gracieux – cet artiste cultive autant de qualités au fil du temps. La surprise d'une expression gestuelle bienvenue vient donner au concert un parfum de mise en scène. On regrette cependant un manque de sobriété dans la mobilité du visage, caractéristique qui vient souvent contrecarrer l'effet recherché. Néanmoins, l'approche est brillante – et l'on pourra citer, pour loyalement rendre compte de la grande pertinence interprétative d'un vrai travail d'ensemble, le vers « Qui peut la re-te-nir » où l'articulation lourée de la voix se retrouve dans celle du violon.

Après deux pièces de Rameau au clavecin seul, qui font goûter une définition instrumentale rare, une présence irremplaçable des cordes, une richesse de la couleur et une clarté générale de la sonorité qu'un grave profond soutient généreusement, Arnaud Marzorati [photo] s'engage dans Mars jaloux, du même auteur. Moins à son aise que le ténor dans le parti-pris gestique, encore raide, comme si le lexique n'en était que courtement intégré, le baryton projette remarquablement la voix. En quelques années, cet artiste semble avoir gagné une homogénéité du timbre, tout en affirmant une vaillance qui, du reste, n'était pas à démontrer. Le grave est somptueusement nourri et l'aigu cuivré, tandis que l'espace naturel de l'organe se libère largement dans le haut-médium. Dans le second récit, on découvre un chant plus nuancé, à peine souligné par un jeu scénique discret avec la violoniste. Attention cependant de ne pas trop ouvrir certaines voyelles qui traîtreusement détimbrent parfois l'aigu et aplatissent souvent l'impact vocal.

Si l'on a ensuite le sentiment de propulser son écoute dans un univers déjà classique, la lecture de la Sonate VI du Livre II deSonates à deux violons sans basse de Leclair anime son éclatante dynamique d'une fraîcheur délicieuse. D'une remarquable délicatesse, le jeu de Bérengère Maillard etStéphanie Paulet atteint une grâce indiscutable. Pour finir, nous retrouvons Batistin avec la cantate Héraclite et Démocrite, accompagnée avec autant d'expressivité que de souplesse. Exquisément mordant et énergique, usant d'une accentuation choisie, Jean-François Novelli connaît ici quelques difficultés, notamment dans le bas-médium de la voix, tandis qu'Arnaud Marzorati se révèle délicieux en caustique observateur et jouisseur cynique. La réalisation de duos non dépourvus d'humour est tout à fait convaincante.

BB