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Chroniques
les moments musicaux de Dezső Ránki
Maintes fois remarqué lors de ses prestations avec orchestre, le pianiste hongrois Dezső Ránki était présent aux Moments musicaux du Châtelet pour un cycle Budapest 1910 où il se produisait quatre fois en deux jours, dans un menu qui emprunta exclusivement à Schubert. Nous assistions aux récitals en solo, sachant que deux de ces concerts étaient consacrés au piano à quatre mains, partagé avec Edit Klukon.
Par le passé s’est largement laissé apprécier le travail de cet artiste dans des répertoires variés, toujours servis avec à propos. L’on se souvient de quelques Mozart d’une grande délicatesse et, surtout, de ses Chopin et Bartók. Aussi est-on surpris de ne pas retrouver ces qualités dans sa lecture de la musique de Schubert, ici étrangement beethovenienne, les Sonates D894 et D850 retentissant alors d’attaques parfois excessives, d’un jeu volontiers alourdi par l’emploi trop copieux de la pédale. C’est d’autant surprenant que les interprétations n’omettent pas certains détails livrés avec i raffinement. Mais il manque une vision véritablement construite.
Tout commence mercredi par le Klavierstück en mi bémol mineur D946 n°1, annonçant à l’inverse un ciselé fort intéressant. Là, Dezső Ránki suit scrupuleusement la multitude d’indications souvent antagonistes de l’écriture schubertienne, réalisant des effets de piquée-portée, sèche avec pédale, tenue-piquée, etc., d’une précision exemplaire. Bravo également pour la subtile mise en exergue du chant. L’équilibre, difficile à trouver dans cette musique sur un piano d’aujourd’hui, s’avère plutôt réussi. De même applaudit-on un Klavierstück en mi bémol majeur D946 n°2 discrètement coloré, jeudi après-midi. Le pianiste lui crée une sonorité d’une fascinante précarité convoquant génialement la vielle à roue, jusqu’à faire oublier l’instrument usité. Une rondeur bienvenue de la sonorité nourrit les motifs mélodiques, y compris dans les aigus pourtant un peu durs du Steinway. L’on en conclura que Dezső Ránki révèle un jeu assez idéal dans les formes brèves.
Il ne suffit pas de jouer quatre mouvements à la suite pour former l’unité d’une sonate ; toute la difficulté de celles de Schubert est là. Il ne s’agit pas d’une écriture difficile à lire, à « mettre en doigts », mais encore donne-t-elle bien du fil à retordre lorsqu’il s’agit de rendre compte de son extraordinaire musicalité. Le sachant, les pianistes cherchent (et trouvent) une aide précieuse dans l’inspiration poétique, la mise en regard avec les artistes que le compositeur admirait, ou encore dans l’appréhension méthodique des caractères spécifiques au pianoforte, médium dont Schubert disposait en son temps. Cette production impose donc une culture, voire une relative cérébralité du jeu. Aux Staier, Brendel, Badura-Skoda, Richter ou Lupu d’explorer leurs routes… Sans trop entrer dans le détail, on regrettera simplement que Dezső Ránki – excellent pianiste, au demeurant – n’y ait pas trouvé la sienne.
BB