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Chroniques
Les pêcheurs de perles
opéra de Georges Bizet
« Du bel canto à la française et un hommage à l’opéra italien. » Cette étiquette mise aux Pêcheurs de perles par Frédéric Chaslin, lorsqu’il dirigea l’ouvrage à Montréal en novembre 2008, date un peu mais pourrait rappeler le frais parfum de la naissance de Georges Bizet à l’art lyrique. Alors que le lauréat du prix de Rome 1857 revient enchanté de ses trois ans à la villa Médicis, son premier opéra de taille (au moins trois actes) est peu salué par la critique à sa création à Paris, en 1863. Quelques décennies plus tard, il connaît pourtant une vogue qui perdure aujourd’hui. Actuellement, le temps que sèche le vernis de la mise en scène du Japonais Yoshi Oïda, nouveauté de l’Opéra Comique en 2012, et de l’intégrale enregistrée par Michel Plasson et ses forces toulousaines il y a trente ans, l’ouvrage de ces deux artistes promus commandeurs est remis sur le métier par la saison liégeoise. Ainsi l’épreuve de vérité d’une reprise en salle peut-elle aujourd’hui détacher tout label flatteur ou bandeau publicitaire...
Pleines de l’épaisse lumière bleutée de Fabrice Kebour, les couleurs des vastes tissus préconisés par l’homme de théâtre Yoshi Oïda [lire nos chroniques de La frontière, Curlew River, Peter Grimes et War Requiem] n’ont pas pâli et, hormis les quelques boiseries de pêche esthétisantes du décors de Tom Schenk, la saturation suit l’entrée des impétrants, danseurs et chanteurs conviés sous le fort tropisme asiatique à la limite du fourre-tout croyant et vestimentaire, quant aux costumes de Richard Hudson, particulièrement réussis pour les coiffes aussi exotiques que suggestives. Rituels et attroupements invitent à demeurer stoïque, tout comme l’exposition du triangle amoureux, sortie précipitamment des profonds méandres de l’intrigue... – attention, danger : il y a bien risque de couler dans les vicissitudes des librettistes, tant Michel Carré et Eugène Cormon se sont pressés de dépeindre des aventures sentimentales dans le lointain.
Mais le deuxième acte entame les réjouissances. Comme s’annonce la mousson à quarante milles marins, le Chœur de l’Opéra royal de Wallonie, une nouvelle fois probant grâce aux bons soins de Pierre Iodice, passe des incantations en coulisses (L’ombre descend des cieux) à l’affolement devant les premiers éclairs, avant de se rengorger pour le tempétueux O, nuit d’épouvante aux basses magnifiques. D’une première impression modeste, après peut-être quelques ajustements, l’orchestre maison ne s’est jamais si bien porté dès qu’il entre véritablement aux prises avec le théâtre lyrique. Aux confrontations entre protagonistes, aux grands tableaux passionnés imprégnant le drame dans le déchaînement des éléments naturels et humains du village en extase, la direction musicale est opportune pour franchir les frontières (opéra-comique, bel canto, Grand Opéra, etc.) et profiter du génie de Bizet. Et avec quelle classe la baguette offre en rappel, avec un quatuor à bons poumons, un peu de la romance de Nadir. Folle ivresse, doux rêve !... Bravo et merci, Monsieur Plasson, du geste ample, généreux et astucieux qui étrenne encore cette musique.
Sous ces subtiles lueurs orchestrales, les chanteurs tiennent leur rang et confirment leur sensibilité à défendre leur rôles. Le soprano Annick Massis assure Leïla avec la précision et le soin des vocalises préconisés. Comme attendu, le ténor Cyrille Dubois convient fort bien à Nadir, laissant, dans les grands airs, flotter joliment le vers en bout de ligne. Un peu rustre au départ, le baryton Pierre Doyen (Zurga) permet le triomphe du dernier acte avec un pouvoir émouvant. Enfin, en Nourabad le menaçant prêtre, le baryton Patrick Delcour excelle, à l’heure du grand sacrifice, à chanter comme sur un nuage de sombres cuivres le somptueux appel aux Sombres divinités. Suivons donc, avec la battue solennelle du chef, ce commandement vers le grandiose dénouement, et surtout vers le bis, aussi rare que pertinent : rideau tombé, libre à chacun de rester dans le « divin ravissement » des opéras de Bizet.
FC