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Chroniques
Les pêcheurs de perles
opéra de Georges Bizet
Au Sri Lanka un charmant village demeure, par son nom ancien au complet, celui des pêcheurs de perles. Un bel enfant boudeur y offre en cachette quelque pierre mystérieuse. Seules face à l’océan, les ruines d’un palais évoquent encore la légendaire Alli, antique reine des mers conquise par le héros épique Arjuna... Autant de vraies découvertes faites en voyage le mois dernier et qui concordent – allez comprendre ! – avec les inepties couchées sur le papier par Michel Carré et Eugène Cormon, les librettistes moins ethnologues que racoleurs de l’opéra de Georges Bizet, Les pêcheurs de perles (1863).
Pour le retour en salle de cet ouvrage souvent donné en France, l’exotisme est, sans l’ombre d’un doute, privilégié. La scène du Théâtre du Capitole s’est recouverte de teintes bleues, couchées sur l’horizon tropical et ornées de végétation peinte sur toile. Par d’élégantes touches, les décors d’Antoine Fontaine recréent en douceur un Orient intemporel dont les divinités et les secrets font de belles apparitions avec parcimonie. Avec un même sens du grandiose et une créativité libre et bien pensée, le vestiaire réalisé par David Belugou impressionne avec les coiffes tamoules, les sarongs, saris et autres soieries lustrées. Les figures de prêtres ont beaucoup d’allure et des traits de fantaisie : Leïla, à l’entrée inoubliable en provenance des fonds marins, semble d’abord vêtue à la manière d’une poupée japonaise, tandis que Nourabad arbore un impressionnant maquillage démoniaque, tout droit sorti du théâtre masqué indien, en plus d’une tenue moderne et audacieuse. De même les nombreux danseurs du Ballet de l’Opéra national du Capitole, très actifs dans l’intensité ou l’illustration poétique, portent-ils chacun de légers ensembles fleurant bon les mers du Sud, avec beaucoup de charme voilé. En effet, la mise en scène est l’œuvre d’un chorégraphe, l’imaginatif et exigeant Thierry Lebrun. Avec une originalité savoureuse, les danseuses sur pointes ponctuent le drame qui prend forme spectaculaire et totale lors des finale en grands tableaux, sous les éclatantes lumières filtrées de Patrick Méüs.
À son entrée, de part et d’autre des pilotis de bambous, le Chœur maison rivalise d’intensité collective, en suivant brillamment les sautes de tonalité ménagées par Bizet tout comme le tonus vital qu’induit le livret. Puis, à l’arrivée de Leïla, l’appel profond des voix masculines et le magnétisme des voix féminines se rapprochent, dans l’esprit d’un singulier oratorio coloré. Enfin, même si ces chanteurs restent en retrait, leurs forces vocales initient habilement et rendent aussitôt véritable l’incroyable coup de théâtre du gigantesque incendie.
Le Zurga d’Alexandre Duhamel est une joyeuse retrouvaille [lire notre chronique du 26 avril 2018]. Tout de suite autoritaire, mais d’une intéressante variété de puissance, le baryton domine les duos, convaincant dans les humeurs et excellent quant à la diction (ainsi dans l’air O Nadir, tendre ami, à l’orée de l’Acte III), jusqu’aux limites éraillées du rôle. Le Nourabad de Jean-Fernand Setti plaît aussi beaucoup, basse juste et pleine, apte à se muer ténébreux conteur [lire nos chroniques de Tosca, Frédégonde, Lucia di Lammermoor, enfin Roméo et Juliette]. Dans un registre plus délicat, le Nadir de Mathias Vidal se révèle surtout dans la fameuse romance, idéalement chantée [lire nos chroniques d’Orfeo, Sémiramis, La Vénitienne, La Didone, Les Indes galantes, Il ritorno d’Ulisse in patria, Cinq-Mars, Fando et Lis, Orlando paladino, Le comte Ory, Olympie, Der Zwerg, Platée et Zoroastre], ainsi qu’à l’ultime duo dans les bras d’une Leïla remarquable, nouvelle réussite du soprano Anne-Catherine Gillet, sûre de ses effets depuis les aigus stridents de l’ingénue jusqu’à la dernière coulée éruptive d’un amour troublé, conquis avec la fermeté d’une tigresse (sans oublier non plus la vibrante prière à Brahma) – du grand art au féminin, dans l’admirable constellation formée par les interprètes ou les muses du compositeur [lire nos chroniques de Colombe, L’Étoile, Der Rosenkavalier, Mireille, Werther à Paris puis à Lyon, Carmen, Hänsel und Gretel, Guillaume Tell, Die Zauberflöte à Liège puis à Marseille, Don Giovanni, Le domino noir, Pelléas et Mélisande, Faust, Madame Favart et Phryné].
Victorien Vanoosten dirige l’Orchestre national du Capitole dans une exécution fort honorable au regard des merveilles recelées par le jeune Bizet. De la fosse gorgée des douces mélodies et des accents rageurs de ce conte pulse l’envie d’offrir la musique avec emphase, de conduire solidement la trame, de rendre les voix poignantes, les humeurs lancinantes ou langoureuses dans leur essence même... En outre, au premier entracte, un superbe détour par la musique symphonique de Bizet désarçonne l’opéra, Jeux d’enfants Op.22, petite suite d’orchestre ou la jolie surprise du chef [lire nos chroniques d’Hamlet, Hérodiade et La reine de Saba] !
FC