Chroniques

par bertrand bolognesi

Les paladins
comédie-ballet de Jean-Philippe Rameau

Théâtre du Châtelet, Paris
- 16 mai 2004
Les paladins, comédie-ballet de Jean-Philippe Rameau au Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

Créée en 1760 à l’Académie royale de Musique et vite abandonnée après quelques représentations boudées du public, la comédie-ballet Les paladins, écrite sur un livret de Jean-François Duplat de Monticourt, est un curieux divertissement qui n’hésite pas à mêler les genres, à utiliser certains stéréotypes, au point de se moquer de lui-même. S’il arrive qu’un ouvrage affiche de l’humour, celui-ci demeure textuel : Rameau s’est complu à tisser le rire dans la matière musicale elle-même, avec un raffinement exquis, ne reculant devant aucune possibilité d’une exquise autodérision. Pour la nouvelle production du Châtelet, Jean-Pierre Brossmann convoque deux maîtres d’œuvres de taille : William Christie au pupitre et José Montalvo qui s’affirme chorégraphe, vidéaste et scénographe autant que metteur en scène.

Dans une esthétique personnelle, il s’improvise paladins lui-même, montreur de chimères, monstres et féeries, en un poétique défilé de caïmans, chevaux, chiens, chouettes, cigognes, daims, éléphants, flamands roses, kangourous, lapins, lions, loups, marabouts, paons, poules, tigres, croisant l’envoûtant discours corporel d’un omniprésent hip-hop ponctué de break dance. Et lorsque la technologie permet de sauter dans les nuages, de sortir de la cuisse de l’Apollon du jardin français, de s’adonner à des farces anthropomorphes, de faire voler sa chaise en promenant l’écriteau « je ris de l’intérieur », le résultat est un spectacle tous azimuts.

La chorégraphie est essentiellement graphique, c'est-à-dire que les corps dessinent dans l’espace les signes de la partition, redondance baroque ingénieuse, cependant assez rapidement limitée comme un système qui se renouvelle peu et s’alourdit lorsque la ligne de chant offre le même dessin (on se retrouve parfois avec quatre images d’un signe). Dans cette profusion généreuse, le spectateur se perd souvent, séduit par un geste ici, une projection là, et les chanteurs peuvent s’en trouver oubliés. Dotée de spectres dansés, leur présence scénique est comme fragmentés, distribuée sur l’ensemble des médiums disponibles. Peut-être aurait-il été plus excitant de pousser ce principe jusqu’à l’abstraction, de sorte que le divertissement, pour drôle qu’il fût, s’élevât dans l’élégance alors gagnée par l’esprit, au-delà de toute futilité.

William Christie rend lumineuse l’écriture dense de Rameau dont les charmes lui vont comme un gant. Claire, intelligente et souveraine, sa lecture s’avère toujours parfaitement équilibrée, dans une dynamique minutieusement choisie et contrôlée. Les Arts Florissants construisent une sonorité subtile, brillante et souple, qui sert au mieux l’humour de la partition.

Le plateau vocal n’est pas en reste, avec la Nérine de Sandrine Piau, délicatement nuancée dans un stimulant pétillement énergique, et l’Argie au timbre chaleureux de Stéphanie d’Oustrac. Si leur forme vocale est incontestable, une diction approximative rend assez lointain ces personnages. Une fois n’est pas coutume : ce sont indéniablement les hommes qui s’avèrent le plus satisfaisant. La Fée Manto très projetée, à laquelle François Piolino prête un timbre clair et sonore assez idéal, est une apparition rafraîchissante et musicalement irréprochable ; la brève apparition d’Emiliano Gonzalez Toro est efficace, tandis que le ténor finlandais Topi Lehtipuu offre à Atys un chant mené avec une maîtrise et une vaillance impressionnantes, une ornementation parfaitement réalisée et une grande présence scénique. N’hésitant pas à se prêter à la danse lui-même, il est un paladin attachant qui s’affirme excellent chanteur.

BB