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Chroniques
Les rêveries
performance lyrique de Philippe Hersant
« Les vrais besoins n’ont jamais d’excès » aimait écrire le père d’Émile. Je ne sais pas pourquoi (encore que…) j’eus cette pensée rousseauiste trottant dans la tête pendant l’audition de la nouvelle œuvre écrite par Philippe Hersant d’après certaines pages des copieuses Rêveries du promeneur solitaire, une partition non dénuée d’intérêt et de qualités, mais aussi – hélas – des textes point trop bien choisis, une interprétation point trop convaincante, une direction point trop prenante, une mise en scène point trop cohérente et une vidéo vraiment encombrante. Une sorte de Rousseau multimédia, du genre regardez-comme-je-sais-faire-joujou-avec-mes-machines.
Au départ, il y avait le tricentenaire du philosophe franco-suisse des Lumières, suscitant tout une série de manifestations artistiques dans l’Hexagone. Dans la foulée, il y eut tout naturellement la décision du Conseil régional de Rhône-Alpes de se lancer dans un ensemble de manifestation se déroulant toute l’année et regroupées sous le label Rousseau 2010 – une démarche louable en soit, quoique coulant de source. D’une part, notre Jean-Jacques national, quoique né à Genève, vécut une importante partie de son existence, surtout juvénile, entre Annecy, Chambéry, Lyon, Bourgoin et autres lieux. D’autre part, la collectivité régionale, sous la férule d’un président justement épris de culture, Jean-Jacques Queyranne, accorde par tradition une place non négligeable à l’activité et à la créativité qui la scellent.
Avant expositions diverses et variées, éditions, colloques, concerts e tutti quanti, l’idée naquit d’une partition nouvelle, sur des fragments de l’ultime œuvre littéraire de Rousseau, d’ailleurs publiées à titre posthume. Dix chapitres d’inégaux développements ; dix réflexions sur l’homme, sur la nature, sur l’intégration voire la fusion du premier dans la seconde ; dix contemplations de la seconde par le premier… avec une part accordée à ses goûts manifestes pour la botanique. Voilà pour le point de départ. Et pour une création donnée, fort logiquement à Chambéry, seconde partie du jeune Jean-Jacques, ensuite à Saint-Étienne, enfin au Théâtre de La Croix-Rousse, à Lyon.
L’ennui est que ces rêveries, quoique restées inachevées, n’évite point les longueurs dans cette contemplation de la nature mais aussi de soi, et que l’emploi constant (d’ailleurs logique pour des souvenirs) d’une accumulation de « je, je, je » frisant parfois le nombrilisme, sinon dans le fonds, du moins dans la forme, sombre parfois dans la redite. Se pose donc la question : qui a choisi, et plutôt mal choisi, le florilège de séquences retenu pour un spectacle ne dépassant pas une bonne heure mais qui, à la sortie (avec, il est vrai, près d’un quart d’heure de retard au début), semble avoir été bien plus long ?
Cela dit, sans s’éloigner de cette atmosphère, le mérite de Philippe Hersant est d’avoir joué, lui, la carte d’une grande pudeur, d’une subtile concision, d’un positionnement aussi efficace que discret face au texte. D’avoir aussi écrit une partition utilisant de façon aussi habile que féconde un arsenal instrumental des plus réduits : deux cordes (violon et violoncelle), une clarinette (excellent Jacques Di Donato) et un piano servant d’élément fusionnel, fort bien défendu par Wilhem Latchoumia.
En regard, pour les parties chantées, une place de choix a été réservée, assez logiquement, par le compositeur, à des textes du poète allemand Hölderlin. Et là, force est de reconnaître que le bât blesse. Les huit chanteurs ne font preuve ni d’une musicalité extrême ni d’une cohésion suprême, peu galvanisés qu’ils semblent par la direction routinière débitée par Bernard Tétu.
Reste la partie dramatique, prise en tenaille entre la mise en scène de Jean Lacornerie, nouveau directeur du théâtre, la prestation du comédien Marc Berman, façon Oncle Picsou, les curieuses peintures réalisée in vivo par Lionel Guiboud et les encombrantes vidéos développées, sans rime ni raison, par Bertrand Saugier. On a connu le premier mieux inspiré dans le monde du théâtre musical ; le deuxième doit être bien gêné par le micro-cravate quand il se roule par terre ; quant au dernier, sans doute a-t-il bien du mal à fédérer la galerie de techniciens vidéastes qui officient dans la salle. Mais encore aurions-nous dû nous méfier du qualificatif employé sur le programme : « performance lyrique »… Pauvre Jean-Jacques !
GC