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Chroniques
les trilles du diable
Nemanja Radulovic, Illico et Stanislas Kuchinski
Depuis longtemps, la ville de Sisteron peut s'enorgueillir de ses Nuits de la Citadelle, mises en place chaque année par l'association Arts Théâtre Monuments (ATM). Inauguré en 1928 sous l'instigation de Marcel Provence, interrompu par la guerre en 1939, puis restauré en 1956, le festival compte aujourd'hui quatre rendez-vous musicaux (dont un Don Giovanni mis en scène, qui rejoint donc le théâtre), un ballet (ce qui implique la musique) et une représentation théâtrale. Sa cinquante-deuxième édition occupe trois lieux : le Théâtre de la Citadelle, bien sûr, qui domine la ville, la Cathédrale Notre-Dame des Pommiers, au cœur de la cité, engin le charmant Cloître Saint Dominique, au pied de la Baume. C'est précisément dans cet édifice du XIIIe siècle que, sous un ciel faussement menaçant, cinq instrumentistes accompagnent ce soir Nemanja Radulovic dans une promenade à travers la virtuosité violonistique.
Né en Serbie où son jeu sera vite récompensé par de nombreuses distinctions, ayant approfondi son art en Allemagne puis à Paris où il s'installait il y a huit ans, Nemanja Radulovic a commencé très tôt une belle carrière de soliste à travers le monde. À vingt-deux ans, il affirme une maîtrise remarquable, comme en témoigne ce moment passé au pied d'un tortueux sureau qui, n'en doutons pas, s'en souviendra longtemps. Il joue ici avec le Quatuor Illico et le contrebassiste Stanislas Kuchinski.
Avec une verve non dénuée d'une certaine raucité, le violoniste ouvre la fête avec les Prélude et Allegro de Kreisler. Après ce « numéro », il offre une interprétation soignée du Rondo de Schubert dont on apprécie la conduite dynamique. Le ton général est volontiers primesautier, toujours fort élégant, dialoguant sur le bel ancrage de la contrebasse, d'une grande précision. Les tensions plus mystérieuses de la Légende de Wieniawski sonnent sous de sombres querelles zéphyriennes, trouvant à s'épancher en une pluie hésitante qui ne dure pas. Parce qu'on ne sait jamais, après avoir attendu le fin de l'embryon d'averse, les musiciens enchaînent sagement la suite du menu, sans entracte ni trou-normand.
Non seulement virtuose, l'interprétation de la Chaconne de Vitali s'avère raffinée, révélant discrètement ses modulations où les échanges de rôle entre soliste et premier violon. Après Meltemi du Romain Annunziata – une pièce pour quatuor qui regarde plutôt vers le passé en usant de stériles ostinati sans véritable nécessité artistique –, le premier mouvement de l'Opus 42 de Tchaïkovski est gracieusement énoncé, dans un précieux équilibre général. Le Scherzo central cisèle des nuances délicates et un geste à la tonicité sans répit, contrasté et tendu, d'où sourd un fin lyrisme inattendu que ne ternissent pas les quelques inexactitudes de l'alto. C'est sur le fil que la Méditation conclut l'exécution.
Pour finir – et c'est le titre de la soirée –, la Sonate en sol mineur « Trilles du diable » du Vénitien Giuseppe Tartini. Extrême virtuosité, comme il se doit, sans trop d'ostentation. Remerciant un public à juste titre enthousiaste, les musiciens offrent en bis la Romanza andaluza Op.22 de Pablo de Sarasate.
BB