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Chroniques
les trois Orphée
récital Paul O’Dette
Tandis qu’aux pieds de la butte Montmartre un orchestre de jazz animait la Place des Abbesses, dans le théâtre du même nom c’est à un concert de musique pour luth de la Renaissance que convie Paul O’Dette. L’acoustique du Théâtre des Abbesses, idéale pour ce type de récital, sert parfaitement le propos artistique. Fuyant probablement les rues bruyantes, le public est venu nombreux trouver refuge en ces lieux où entendre cet instrument au son si doux et délicat qu’il ne peut que très rapidement permettre à l’auditeur d’oublier l’agitation régnante de nos villes modernes et le manque de temps qui interdit bien souvent de savourer son écoulement.
Les trois Orphée de l’intitulé du programme sont en fait trois luthistes qui, au XVIe siècle, offrirent à l’instrument des poètes qu’étaient le luth un répertoire qui enchanta leur époque. Durant un peu plus d’une heure trente, Paul O’Dette captive le public, ou plus exactement Marco Dall’Aquila, Albert de Rippe et Francesco da Milano auxquels il a redonné la parole. Tous trois furent en leur temps comparés à Orphée. L’on disait d’eux qu’ils avaient le pouvoir de toucher ceux qui les écoutaient au plus profond de l’âme. Ils furent admirés des rois et des papes qui se les arrachaient à prix d’or. Tous d’origine italienne, ils vécurent entre la fin du XVe siècle et la première moitié du XVIe siècle. Si deux d’entre eux firent l’essentiel de leur carrière en Italie, Marco Dall’Aquila et Francesco da Milano, le troisième, Albert de Rippe, travailla au service de François Ier. Heureusement pour la postérité, da Milano et de Rippe connurent une publication qui, même posthume pour le second, permet aujourd’hui encore d’en apprécier vraiment les mélancoliques beautés. Il n’en va pas de même pour Dall’Aquila, ce qui est d’autant plus regrettable que c’est à lui que nous devons la fantaisie, l’art du toucher virtuose, et que les compositions qui nous sont parvenues sont particulièrement bouleversantes de beauté abstraite. Si Albert de Rippe connut de son vivant la gloire, il tomba plus rapidement dans l’oubli qu’Il Divino Francesco da Milano dont nombreuses sont les œuvres à nous être parvenues. Bien que très sophistiquée, sa musique porte en elle une intense émotion que seul peut rendre un interprète maîtrisant sa complexe rhétorique.
Le jeu clair de Paul O’Dette, son sens de l’articulation et la propreté d’exécution charme le public. Il fait résonner les sonorités de l’intime. Sa virtuosité est poésie pure, faisant suivre le cheminement des œuvres sans que jamais le moindre ennui ne viennent distraire un instant l’auditoire. Bien au contraire, captivé par cette musique du silence, de l’introspection, les voix de l’âme le saisissent pour ne le plus relâcher. Le temps prend alors un autre cours, celui de la fluidité de la musique filant entre les doigts. Il est difficile de parler de ce fascinant bonheur éprouvé à se laisser séduire par ces Fantaisies et Ricercar, ou par les transcriptions de chansons comme Nous bergiers, Or vien ça vien mamie Perrette ou La Battaglia de Clément Janequin, si riche en est la palette des sentiments. Et elle trouve ici un maître capable de la faire résonner en chacun de nous.
À la fin du récital, le bis – un Ricercar de Marco Dall’Aquila – prolonge de quelques secondes encore cette fragile et étrange harmonie contemplative que Paul O’Dette a créé grâce au luth, ayant fait oublier la violence du bruit (à entendre le silence de la musique ou la musique du silence), à l’instant où les doigts suspendent leur vol. Encore faut-il retrouver la ville bruyante….
MP