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Chroniques
les trois Sonates de Boulez
par Paavali Jumppanen
Au hasard des programmes des récitals pianistiques, on rencontrera de temps à autre une page de Pierre Boulez – une Sonate, ou les Notations, voire Incises – dans une soirée spécifiquement contemporaine ou dans un menu plus large. Il est nettement plus rare qu’un interprète décide de jouer l’intégralité de ses trois sonates pour piano. Le jeune Paavali Jumppanen se lance ce soir dans une aventure courageuse et passionnante, dans le cadre des concerts de la Tribune Internationale des Compositeurs, au studio Sacha Guitry de la Maison Ronde (avec la participation de l’Institut Finlandais).
Boulez compose sa Sonate n°1 à l’âge de vingt et un ans. Elle serait créée à Paris en 1946 par Yvette Grimaud. Si Paavali Jumppanen prend à la lettre l’indication Lent dans un premier temps, c’est pour mieux bondir comme un chat dans les traits rapides. Il propose une lecture infiniment nuancée, moins brutale que celles auxquelles nos oreilles se sont habituées. Encore proche des Notations, l’œuvre semble sous ses doigts en rien austère. Dans le second mouvement – noté Assez large –, le pianiste atteint un lyrisme relatif.
D’une tout autre trempe sera la Sonate n°3 que Boulez lui-même créait à Darmstadt à l’automne 1957. Alors que de nombreux musiciens de ces années-là se sont interrogés sur l’ouverture de l’œuvre, le degré d’intervention de l’interprète, et tentèrent l’expérience du hasard, Boulez imaginait une organisation aléatoire de la partition, fragmentant ses matériaux en divers formants. Il travaille alors déjà à ce qui, au fil des ans, allait édifier Pli selon Pli, et sans doute y a-t-il quelque chose de mallarméen dans la conception de sa sonate. Paavali Jumpanen livre une interprétation concentrée, dans un grand calme, se gardant des quelques aléas venus perturber l’exécution de la pièce précédente. Son jeu révèle assez clairement certains aspects de la pièce, sans doute la plus formelle des trois.
Enfin, après un court entracte, il aborde la plus vaste Sonate n°2, écrite en 1948 et créée à Paris par Yvette Grimaud deux ans plus tard. Il se lance dans une approche extrêmement contrastée du premier mouvement, grâce à une dynamique excitante nourrie d’une grande énergie, parfaitement canalisée. Dans la suite (quatre mouvements en tout), on lui découvre un art de coloriste non négligeable, réalisant la fin de la troisième partie, ardue et complexe, sans déroger à ce raffinement. Après une sorte d’égalité identitaire des versions entendues sous les doigts de quelques pianistes aguerris à ce répertoire – fiables, irréprochables et souvent dures – on est agréablement surpris de goûter la souplesse d’une excellente proposition.
BB