Chroniques

par bertrand bolognesi

Les vêpres siciliennes
opéra de Giuseppe Verdi

Münchner Opernfestspiele / Nationatheater, Munich
- 26 juillet 2018
À Munich, Antú Romero Nunes met en scène Les vêpres siciliennes de Verdi
© wilfried hösl

Grand opéra créé à Paris au printemps 1855, Les vêpres siciliennes, écrit sur un livret de Charles Duveyrier et Eugène Scribe, ne connaît plus guère les honneurs de la scène. Si l’adaptation italienne (I vespri siciliani) n’est pas tout à fait absente des théâtres, bien que demeurant une rareté [lire notre chronique du 10 décembre 2016], ces derniers boudent de longue date la version d’origine. Peut-être parce que l’argument se tient mais que l’intrigue est à la fois maigre et confuse, par-delà le fait que ce n’est certes pas là ce que Verdi fit de mieux. Comment représenter l’ouvrage aujourd’hui ? C’est la grande question lorsqu’il s’agit de programmer une pièce ancienne mais peu connue du public. Pour sa mise en scène munichoise, reprise ce soir dans le cadre du festival estival de la Bayerische Staatsoper mais dont la première eut lieu le 11 mars dernier, le jeune Antú Romero Nunes ne se l’est vraisemblablement pas posée. Aussi n’aborde-t-il pas Les vêpres siciliennes comme un opéra, semblant le considérer comme simple matériau de base pour une sorte de performance où se croisent plusieurs disciplines qui constituent son goût personnel.

Jusque-là, rien à redire, qu’on adhère ou non au choix de l’homme de théâtre. Les décors de Matthias Koch déclinent hauts rideaux noir, brillants, et madone d’aquarium, quand les costumes de Victoria Behr suggèrent un carnaval de morts-vivants dominé par Procida, non pas revenu d’Espagne où il était à la quête du soutien du roi au mouvement de libération de son peuple, alors sous le joug français, mais vraisemblablement d’Amérique latine, comme le suggère une vêture à mi-chemin entre conquistador et divinité amérindienne – le bon docteur reviendrait des colonies… de même les nombreux squelettes ricanant du chœur qui évoquent la fête mexicaine des morts. Pour surprenants qu’ils soient, de prime abord, ces éléments intègrent la trame, de loin ou de près. Avec le surgissement d’une fête techno’, la proposition s’effondre aussitôt. Peints et masqués les danseurs de la Sol Dance Company s’expriment sur une chorégraphie de Dustin Klein qui, parce qu’elle est trop immédiatement d’aujourd’hui (qui dès demain sera hier, comme chacun sait) pour s’appuyer sur la musique du XIXe siècle, en convoque une nouvelle. Ainsi la création de Nick & Clemens Prokop s’additionne-t-elle à la partition à laquelle, par ce procédé, le metteur en scène affirme sans honte ne pas accorder foi.

Cette mesure confère au rapt : celui qui désapprouve est forcément un réac’ refusant tout fun, celui qui applaudit est in 'n' cool. En réalité, ce n’est pas le sujet : le vrai problème est de suppléer, avec une abusive autorité, la musique de Verdi – dans ce cas, pourquoi monter l’ouvrage ? S’il se trouve que l’opéra pourrait, d’une certaine manière, être du théâtre, encore est-ce du théâtre musical, conçu comme tel. Une addition intrusive de ce type ne choque pas parce qu’elle emprunte à d’autres domaines d’expression, mais parce qu’elle indique le désaveu d’Antú Romero Nunes. Les danseurs ne sont pas en cause, le chorégraphe non plus, la responsabilité incombe au signataire de la production, mais aussi au chef d’orchestre qui troque son rôle de garant du bien rendu musical pour la casaque de complice sympa’ hyper branché.

De fait, l’on perçoit assez qu’Omer Meir Wellber s’amuse pleinement dans ce passage, après s’être beaucoup ennuyé à battre ce qui précédait. Passée l’Ouverture plutôt soigneusement servie, il cède bientôt à son penchant naturel qui est d’effusion grandiloquente, souvent au détriment des voix, des équilibres entre pupitres et même de certains passages à la texture instrumentale plus raffinée que ce qu’il brosse à gros traits. C’est dommage, car ce chef possède incontestablement des qualités, telles que perçues à d’autres occasions [lire nos chroniques du 15 novembre 2014, du 24 juillet 2016, des 5 février, 26 mars et 28 juillet 2017, enfin du 1er juillet 2018]. Demeure la belle prestation des Chor und Extrachor des Bayerischen Staatsoper, réglée avec avantage par Stellario Fagone.

Le propre d’un festival est de proposer des soirées qui ne se ressemblent pas. Après l’exceptionnel Trittico de lundi dernier dont on se souviendra longtemps [lire notre chronique du 16 juillet 2018], les présentes Vêpres se dirigeront immanquablement vers les oubliettes. À une direction musicale peu satisfaisante et une mise en scène hors propos est associée une distribution inégale. Bryan Hymel n’est pas au mieux de ses possibilités dans le rôle d’Henri, avec des attaques heurtées et, en général, une ligne trop peu souple ; à l’inverse, il est celui qui, ce soir, prononce le mieux notre langue. George Petean campe un Montfort sonore mais pas toujours stable. Erwin Schrott avance un charismatique Procida qui pourtant se perd peu à peu dans des nasalisations excessives. Les rôles secondaires mâchonnent tous un français improbable, ce qui ne gâte pas quelques fort beaux timbres, comme ceux de Callum Thorpe (Robert) et, surtout, de Johannes Kammler (Vaudémont). C’est donc aux dames qu’il revient d’honorer Verdi. En Helena Zubanovich, la partie de Ninetta trouve une interprète à sa mesure. Enfin, le jeune soprano étasunien Rachel Willis-Sørensen se charge magistralement de la gymnastique conçue pour Hélène : la voix livre une couleur un rien désuète, bien à son affaire dans ce répertoire, l’adresse de l’émission et l’exubérante agilité qui se jouent de toutes les difficultés signent une saine incarnation [lire notre chronique du 8 juillet 2017].

BB