Chroniques

par bruno serrou

Histoire du soldat
mélodrame d’Igor Stravinsky

Arcal / Grand Théâtre, Reims
- 13 janvier 2011
Histoire du soldat, mélodrame de Ramuz et Stravinsky
© florent mayolet

Composé en 1917 pour trois acteurs et sept instruments (deux de plus que Pierrot lunaire de Schönberg de cinq ans antérieur, et sans piano, considérant que l’œuvre était prévue pour une longue tournée qui n’eut finalement pas lieu pour cause d’épidémie de grippe espagnole), sur un texte de l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), L'Histoire du soldat est l’une des pages les plus populaires d’Igor Stravinsky (1882-1971). Populaire à plus d’un titre : par son renom, mais aussi par son contenu et ses influences littéraires et musicales, se fondant sur un conte faussement innocent inspiré à la fois du Faust de Goethe et d’un vieux conte russe, et sur une musique faussement populaire avec ses couleurs rustiques et ses rythmes aux contours de ragtime et de tango.

Contrairement à Pierrot lunaire, dont, selon les indication de Schönberg, l’ensemble instrumental doit être caché derrière un rideau, Stravinski entendait que les musiciens soient présents sur scène et visibles du public, « combinés avec le théâtre et la narration, ces éléments essentiels à la pièce, en étroite liaison, [devant] former un tout », rappelait-il, ajoutant que « dans notre pensée [la sienne et celle de Ramuz], ces trois éléments tantôt se passent la parole alternativement, tantôt se combinent en un ensemble ».

Cette histoire d’humble soldat violoneux qui vend son âme au diable avec pour enjeu son instrument met naturellement en relation directe musiciens et comédiens. Il suffit d’ajouter quelques figurants et une ballerine pour en tirer une pièce de théâtre musical, ce qu’a fait avec sensibilité et talent le metteur en scène Jean-Christophe Saïs en demandant aux instrumentistes et au chef de participer à l’action, ceux-ci se mouvant, dialoguant, allant jusqu’à jouer la comédie, plus particulièrement le chef, Laurent Cuniot, véritable diabolus ex machina du spectacle, avec ses cheveux blancs hirsutes qui lui vont comme un gant.

Outre cette remarquable performance à laquelle il manquait un brin de décontraction le soir de la première rémoise, il convient aussi de saluer celle de l’ensemble TM+ dont les membres ont joué par cœur pendant la première moitié de la soirée une partition extrêmement virtuose pour chacun – de Noëmi Schindler au violon jusqu’à Claire Talibart à la percussion, en passant par Laurène Durantel (contrebasse), Nicolas Fargeix (clarinette), Yannick Mariller (basson), André Feydy (trompette) et Olivier Devaure (trombone).

Poétiquement mis en lumière par Jean Tartaroli, cosignataire de la scénographie avec Saïs, cette Histoire du soldat produite par l’Arcal touche, émeut tout en suscitant le sourire, donnant à regarder autant qu’à écouter, liant intimement théâtre, danse et musique, chacun des protagonistes participant de façon organique à tout les éléments du spectacle. Seule réserve, l’exploitation trop longue d’un portique de funambule sur lequel se déplace tout d’abord le soldat, excellemment campé par Mathieu Genet, tandis que Serge Tranvouez ne se cantonne pas au statisme du narrateur et participe au déploiement de l’action. Il convient aussi de saluer la performance de la danseuse Raphaëlle Delaunay, jolie apparition de la Princesse. Ce spectacle est repris à la Maison de la Musique de Nanterre les 19 et 21 janvier, puis en mars à Creil et Vélizy-Villacoublay, en mai à Chaumont et, ultérieurement, au Théâtre impérial de Compiègne.

BS