Chroniques

par cecil ameil

Liederabend Angelika Kirchschlager
Franz Schubert et Hugo Wolf

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 27 janvier 2004
Angelika Kirchschlager photograhiée par Nikolaus Karlinsky
© nikolaus karlinsky

C’est dans la grande salle Henry Le Boeuf que le mezzo-soprano autrichien se produit ce soir, devant un public d’environ deux cent personnes, dans des Lieder de Schubert et de Wolf. À trente-sept ans, cette artiste, dont la renommée ne remonte qu’à cinq ou six ans, fait une percée fulgurante en se produisant avec éclat aussi bien à l’opéra, en récital ou au concert. Bien que sa discographie ne comprenne (encore) que trois enregistrements, elle a chanté dans le monde entier.

L’impression générale qui ressort de ce récital est que l’on a affaire à une grande professionnelle, à la technique vocale sans faille, très à l’aise dans ses prestations. La voix est légère mais rayonnante et menée sans aucun effort apparent ; le timbre est superbe. La chanteuse sait également jouer de son physique flatteur pour séduire sur scène : c’est une grande comédienne, à n’en pas douter. Son compatriote Helmut Deutsch, grande pointure du piano d’accompagnement qui travailla pour de nombreuses stars germanophones du classique, est en tout point remarquable, apportant juste ce qu’il faut à la voix.

Malgré toutes ces qualités, on peut regretter qu’Angelika Kirchschlager n’aborde pas le Lied avec toute l’intériorité que l’on attend dans ce type de musique. Non seulement le jeu déployé dans ses gestes, ses attitudes mais aussi les mimiques de son visage, paraît excessif dans ce registre, mais cela confine parfois au cabotinage (certains parleront même de minauderie, à la pause), ce qui ôte beaucoup de l’impact émotionnel que contiennent ces partitions des romantiques allemands.

Durant toute la première partie, entre deux morceaux, la chanteuse gratifie l’auditoire de sourires forcés, comme pour mieux emporter son adhésion, ce qui provoque immanquablement des ruptures dans le cycle chanté. Cette attitude fait écho à des effets de présence pendant les morceaux (nombreux mouvements du corps et des bras, certes contrôlés et gracieux) qui paraissent parfois inutiles et souvent parasites. Si les histoires contées dans l’Alte Weisen de Wolf [lire notre critique Livre/CD Le Tombeau d’Anacréon d’Hugo Wolf] peuvent justifier une telle gestuelle, les sept Lieder de Schubert par lesquels commence le récital n’en sortent pas grandis. On pourra trouver que la voix est ici comme au service d’un exercice de charme, émise pour plaire, mais sans grand ressenti. C’est flagrant dans le superbe Du bist die Ruh D776 dont la mélancolie demeure bien superficielle.

Pour autant, ces travers ne sont pas toujours perceptibles ; certaines pièces sont interprétées avec une belle conviction, au point de fortement toucher la sensibilité de l’auditeur. Le tout début de ce moment donne à entendre une voix rayonnante de simplicité, le corps s’y accordant parfaitement, l’attitude générale demeurant posée. Ainsi la première impression est-elle excellente. Par la suite, les phrasés proposés dans Bei dir allein D866 ou dans Im Frühling D882 (Schubert, toujours), de toute beauté, magnifiés par un piano en parfaite symbiose, enchantent l’oreille. En faut-il plus ? La même impression se confirme en début de seconde partie, la présence vocale l’emportant parfois sur l’attitude, comme dans le cycle Ellens Gesang de Schubert qui comprend le trop célèbre Ave Maria : précisément dans cette pièce archi-connue, le mezzo chante sans effet inutile, dans un juste recueillement.

Enfin, en dernier acte, la concentration consentie au Gedichte von Eduard Mörike d’Hugo Wolf (extraits) apporte aux pièces sombres – Das verlassene Mägdlein et Lebe wohl – une intensité dramatique bienvenue. La dynamique du texte, les nuances sont essentiellement dans la voix, bien soulignée par le piano d’Helmut Deutsch. Est-il besoin d’ajouter qu’Angelika Kirchschlager possède tous les attributs de la star internationale montante, applaudie à tout rompre lorsqu’elle use et abuse de ses charmes indéniables ? Il n’est pas certain que cette musique-là y gagne vraiment, mais les deux Lieder donnés en bis dans une interprétation théâtrale – et techniquement excellente, reconnaissons-le – suscitent une standing ovation assez inhabituelle pour ce genre de musique.

CA