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Chroniques
Liederabend baroque d’Andreas Scholl
compositeurs allemands des XVIIe et XVIIIe siècles
Regroupant des Lieder de compositeurs allemands des XVIIe et XVIIIe siècles, le récital d'Andreas Scholl fait découvrir quelques pages rares d'une littérature relativement oubliée. Accompagné par Julius Märkl au clavecin, il invite à un voyage qui alterne lamentation, soupir amoureux, plaisirs terrestres, dans l'Allemagne subissant les dures conséquences de la Guerre de Trente Ans. Une fougue parfois presque forcenée à s'adonner au plaisir comme l'on volerait un peu de bonheur à une existence qui en est avare succède à la tristesse ou à la résignation lucide de ballades qui atteignent au lugubre. Mais jamais de mélancolie ou de nostalgie : à décrire la situation, les narrateurs de chacune des mélodies ne s'arrêtent pas sur leur sort, conscients que les temps sont ce qu'ils sont. Dieu lui-même est le grand absent des poèmes : il est bien plus urgent de prier la belle de se donner que de s'interroger sur des mondes supérieurs ou d'attendre encore quoi que ce soit du Ciel.
Ce Liederabend baroque s'ouvre sur deux chants de Johann Nauwach (1595-1630), le sombre Voici venir la nuit – nous indiquons les titres dans leur traduction française – faisant place à l'inquiétude enjouée de Ma belle, hâtons-nous dont l'attaque surprend. Présentant un minutieux travail d'intention sur chaque phrase, ne laissant aucun mot au hasard, avec la diction qu'on lui connaît, Andreas Scholl installe les climats comme personne [lire notre chronique du 6 mars 2004], dans une expressivité encore contenue.
La machine vocale est lente à s'échauffer, ce soir. Aussi le Lied indigné d’Heinrich Albert (1604-1651), Ô amère cruauté !, ne bénéficie-t-il pas d'une interprétation idéale. Avec Blanche est ma bien aimée d’Adam Krieger (1634-1666), les musiciens abordent avec une cordiale légèreté la franche supplique amoureuse que l'on retrouvera un siècle et demi plus tard dans la poésie romantique, ici teintée d'un sourire moins guindé qui prétend mourir pour mieux s'allonger à de toutes autres fins. Dans l'ensemble, les pièces de ce compositeur paraissent plus théâtrales – signalons au passage la fort belle introduction de Jour et nuit règne la puissance de l'amour dans laquelle Julius Märkl montre une musicalité exquisément délicate –, plus élaborées également, même si Voyez danser le vin du Rhin s'inscrit nettement dans la continuité festive des auteurs précédents.
Après la Chaconne en sol majeur de Johann Caspar Ferdinand Fischer (vers 1665-1749) au clavecin seul, la voix s’affirme plus, accomplissant avec agilité les ornements de Fonds, cœur de pierre. De même apprécie-t-on le fin travail de couleur qui atteint une grande force évocatrice dans À la solitude. Si le contreténor s'amuse plaisamment dansL'art des baisers d’AndreasHammerschmidt (1611-1675), il suscite respect et émotion dans le choral contemplatif Au sommeil de Johann Valentin Görner (date de naissance inconnue, mort en 1762), fin de la première partie.
La suite se consacre entièrement à des cantates romaines en langue italienne du saxon Händel. Avouons n'être guère par l'interprétation assez terne de Nel dolce tempo, sans grand intérêt. En revanche, la vocalité virtuose et l'expressivité omniprésente de Lungi da me, pensier tiranno s'avèrent plus satisfaisantes, bien que le bas-médium de la voix ne semble pas mieux de sa forme. Dans l'ensemble, cela manque debrio. Après que Julius Märkl ait donné la fameuse Chaconne, la dernière œuvre au programme, Dolce pur d'amor l'affano, jouit d'une suave élégance. Andreas Scholl remercie le public enthousiaste avec une aria extraite d'Alcina, à laquelle il ménage une tendresse délicieusement caressante, puis l'aria finale d'une cantate au sujet sensiblement grivois, avec une virevoltante légèreté. En petite santé aujourd’hui, alors que la plupart de ses confrères auraient vraisemblablement annulé leur récital, l’artiste fit au mieux grâce à une maîtrise technique impressionnante de son organe et une rare connaissance de soi.
BB