Chroniques

par bertrand bolognesi

Liederabend Elīna Garanča
Berg, Schumann et Strauss

Les lundis musicaux / Théâtre du Palais Royal, Paris
- 23 juin 2014
le mezzo-soprano Elīna Garanča en Liederabend Théâtre du Palais Royal (Paris)
© felix broede

Du mezzo-soprano letton on connaît surtout l’extrême ductilité mise au service des belcantistes. Après Donizetti, Bellini, Rossini, on la découvre dans un répertoire plus intérieur, celui des romantiques, grâce à ce Liederabend de belle tenue, programmé par Les lundi musicaux du Théâtre du Palais Royal. L’Écossais Malcolm Martineau prend place au clavier pour une première partie entièrement consacrée à Schumann.

D’emblée la souplesse enveloppante de l’émission vient caresser l’écoute, avec Widmung Op.25. Elīna Garanča convoque juste ce qu’il faut de discrétion et d’ardeur, d’urgence et de pudeur, pour une interprétation fort nuancée, sur un piano rond et fluide qui finit le chant, en précurseur de Mahler. Der Nussbaum s’éclaire d’un raffinement simple, quand Jemand se distingue par son écriture en récitatif qui bénéficie de l’aura opératique de l’artiste. Arborant une chaleur naturelle qui conduit sensiblement la dynamique grâce à une respiration évidente, Garanča porte le premier des Lieder der Braut aus dem Liebesfrühling dans un lyrisme contenu, jamais superfétatoire ; le second est tout recueillement.

Après cette introduction, passons au cycle complet Frauenliebe und Leben Op.42 qu’elle raconte du bout des lèvres (Seit ich ihn gesehen). Si la détente du gruppetto d’Er, der herrlichste von allen paraît un rien maniérée, l’onctuosité du médium livre des pianississimi d’une tendresse indicible. Le troisième épisode est haletant, jusqu’à la grande pureté de sa conclusion. Le suivant (Du Ring an meinem Finger) gagne une grâce infinie et laisse poindre une voix soudain plus pleine. Helft mir, ihr Schwestern ménage des nuances infimes qui témoignent de cordes vocales remarquablement musclées, au service d’une expressivité toujours subtile. Commencé sur le fil et dans une égale impédance, Süßer Freund prend peu à peu un élan plus dramatique ; au retour mélancolique du piano répond une fin par la voix, dans l’autorité de l’affect. La folle passion du pénultième Lied (An meinem Herzen) contraste avec le quasi funèbre Nun hast du mir den ersten Schmerz getan, avec son grave largement creusé.

Après l’entracte, Elīna Garanča nous revient dans un répertoire début de siècle qu’elle ouvre avec les élégants Sieben frühe Lieder d’Alban Berg. La voix se révèle généreuse dès Nacht où le phrasé s’élève dans une suavité inouïe. Le souffle est grand, la voix longue et le timbre profond et moelleux. Au piano, après avoir serti sa lecture schumanienne dans les limites appropriées – encore « classiques », au fond –, Malcolm Martineau affirme la sensualité de cette œuvre d’un autre temps. Les pages de Berg viennent sortir la voix, généreuse, comme pour la mieux préparer aux mélodies straussiennes qui suivront (assurément, le programme est ingénieusement construit). La chanteuse profite d’une saine réserve pour gérer les finasseries de Schilflied, puis déploie un organe librement lyrique dans le somptueuxNachtigall, si redoutable. Après un Traumgekrönt d’une grande classe, puis Im Zimmer ondoyant et souple, Elīna Garanča use d’une oreille infaillible dans la difficile Liebesode. Elle enchaîne avec véhément un Sommertage flamboyant !

D’un impact plus opulent encore, elle conclut ce récital avec six pages de Richard Strauss – avouons qu’après le ravissement de Berg, ces opus semblent surannés, sinon fades (notamment le facile All’mein Gedanken et Ach Lieb, ich muss nun scheiden, chanson sucrée assez surfaite). Ainsi de l’essentiel Strauss glamour de Meinem Kinde ou de l’histoire tout à la fois héroïque et « domestique » d’Heimliche Aufforderung, magistralement contée.

Trois bis à cette séduisante soirée ; le troisième emprunte à Brahms après une brève mélodie en letton sur la nuit la plus courte de l’année (c’était avant-hier) et, surtout, un splendide Morgen (Strauss, Op.27 n°4) qui suspend le public aux lèvres d’Elīna Garanča.

BB