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Chroniques
Liederabend Julian Prégardien
Beethoven, Mozart et Schubert
Édition fort diversifiée que celle de 2013, pour les Innsbrucker Festwochen der Alten Musik qui, depuis le 7 août et jusqu’à dimanche (le 25), promènent l’écoute du XVIe au XXIe siècles ! Christoph Prégardien étant souffrant, le récital en duo initialement prévu ce soir fait place à un Liederabend en solo. Julian Prégardien (le fils) assurera ce moment de musique, en compagnie du pianofortiste Michael Gees.
Profondément ancrée dans la culture germanique, des confins du nord à ceux de l’est et jusqu’à l’actuel Alto Adige, autrement dit le Tyrol italien, la tradition du Lied remonte à une expression artistique populaire du XVIe siècle. Elle évolua considérablement, sous l’inflexion de Matthias Weckmann, par exemple, au siècle suivant, puis des compositeurs de l’École de Berlin, contemporains de Mozart. Voyageant d’abord de la chanson populaire à l’héritage madrigalesque Renaissance, le genre évolua pendant l’ère baroque et la période classique avant de connaître l’apogée qu’on lui sait, avec les romantiques – et n’oublions pas qu’il est encore bien vivace, puisque de nos jours Aribert Reimann s’exprime volontiers à travers lui.
« Musiques anciennes », disions-nous…
C’est en toute connaissance de cause que le programme de la soirée honore le Lied, en commençant par quatre pages mozartiennes qui font entendre aussi bien le futur que le passé. Dans une clarté tendre, Sehnsucht nach dem Frühling (K.596) ouvre la fête. Plein d’esprit, il est servi d’un chant à la fraicheur gracieuse, dans la souplesse à peine fauve d’un Conrad Graf de 1835. Pris dans un tempo étonnamment rapide, Abendempfindung (K.523) se noie dans une ornementation baroquisante qui le rend plus fiévreux encore, loin de l’humeur du texte lui-même. L’interprétation se reprend avec Komm, liebe Zither (K.351), véritable invitation à la musique, dans une grâce dolente, du soupirant inspiré. An Chloë (K.524) demeure plutôt terne, par-delà les contrastes que le ténor avance un peu à la manière d’une aria – de fait, c’est bien ainsi que cet opus est conçu.
La génération suivante survient avec Beethoven ; de même quelques accrocs de la voix, malheureusement. Ainsi les tenues de Der Kuß Op.128 accusent-elles une stabilité relative et des « détimbrages » qui limitent assez vertement la ligne de chant. C’est dommage, car l’artiste semble avoir imaginé un fin travail de la dynamique. Adelaide Op.46 confirme l’impression recueillie plus tôt : Julian Prégardien est en difficulté dès qu’est requise la véhémence. Dépassée par la « théâtralité », la conduite est alors semée de heurts malencontreux, comme ils se laissent encore constater dans Lied aus der Ferne WoO.137 qui pourtant commençait bien.
La première partie est conclue par An die ferne Geliebte Op.98, le cycle beethovénien de six poèmes du Morave Alois Jeitteles. Saluons-y d’emblée le complet investissement du chanteur, en pleine possession de ses moyens, cette fois. Auf dem Hügel sitz ich spähend bénéficie d’un relief pianistique remarquable qui en souligne la nature quasiment désertique, dont on peut penser qu’elle influencerait une douzaine d’années plus tard le facture de Winterreise. À des voix mixtes infiniment délicates répondent des attaques veloutées, notamment avec les demi-teintes savantes de Wo die Berge so blau dont la troisième strophe resserre efficacement la hargne dramatique. L’inventivité de Michael Gees est à l’œuvre dans Leichte Segler in den Höhen et son climat sinon fou du moins vertigineux. Les deux derniers Lieder recouvrent cependant les fragilités vocales du début de la soirée que certains « coups de gueule » ne parviennent guère à magnifier.
Après l’entracte, rendez-vous avec douze mélodies de Schubert. Une nouvelle fois, Michael Gees transmet comme aucun la fièvre d’Auf der Bruck (D.853), tandis que Julian Prégardien hésite encore. Et voilà que la lumière surgit ! L’approche subtile de Jägers Abendlied (D.368) opère dans le plus doux de la voix, comme en apesanteur. Et à partir de cette page, le ténor portera toujours plus haut la suite du récital. À la sensible étrangeté du halo résonnant d’An mein Herz (D.860) succède l’élégance tranquille d’Im Frühling (D.882), l’éclairage raffiné de Nähe des Geliebten (D.162) avec le début de son ultime strophe, du bout des lèvres (« Ich bin bei dir, du seist auch noch so ferne, du bist mir nah… »), enfin l’intime autant que lapidaire Um Mitternacht (D.862) qui définitivement place l’interprétation hors de toute velléité de démonstration vocale et bien plutôt sous le signe du dire le plus juste, le mieux ressenti.
Et voilà Julian Prégardien conteur, sur les terribles effets de creux du pianoforte, avec Der Zwerg (D.771) redoutable et horrifique ! L’histoire s’en fait alors haletante et inquiétante la présence. Après la vastitude insondable de Meeres Stille (D.216) s’avèrent moins probants Auf dem Wasser zu singen (D.774) et Im Abendrot (D.799), tandis qu’il revient au dolorisme de Schlegel de couronner ce Liederabend par le ferme Fülle der Liebe (D.854), fort bien servi en ses robustesses comme en ses illuminations (dixième strophe, « Ein Stern erschien mir vom Paradies », et « Hier noch befeuchtet der Blick sich lind », onzième), par un pianississimo qu’on pourra dire divinement éberlué.
BB