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Chroniques
Liederabend René Pape
Camillo Radicke, piano
C’est un programme en quatre langues que le baryton-basse saxon René Pape a concocté, cette fois, Liederabend qu’il donne ici et là (comme à Munich, l’été prochain). Sous le signe de la mort, avance Hélène Pierrakos dans le texte fort intéressant qu’elle signe en brochure de salle. De la mort, vraiment ? Oui, à considérer la seconde partie du menu. Quant à la première, elle semble bien plutôt regarder Dieu… ce qui peut être une manière d’assimiler le mourir, mais pas uniquement.
Dès la trentaine, Ludwig van Beethoven écrivit six Lieder Op.48 sur des hymnes du moraliste Christian Gellert (1815-1769). Le sacré est omniprésent, dans ce cycle où se succèdent des chorals assez rudimentaires qui font mentir la conviction vulgaire selon laquelle tout ce que produisit le compositeur serait merveille. La paisible Prière initiale laisse percevoir un aigu un rien serré. Die Liebe des Nächsten confirme un léger enrouement que Vom Tode fait oublier grâce à l’avantageuse plongée dans le riche grain de la voix, ici nettement plus stable. La franchise de Die Ehre Gottes aus der Natur finit de chasser tout encombrement des cordes ; de fait, plus de nuance est alors rendu possible, sans pour autant que le bref Gottes Macht und Vorsehung bénéficie d’un aigu mieux assis. Soudain, le miracle survient pour Bußlied : sans conteste, il s’agit non seulement de la pièce la plus aboutie du recueil, mais encore René Pape se trouve maintenant en meilleure possession de ses moyens. Le joyeux jeu de variations conclusif, servi d’un piano un rien précieux, finit de conquérir l’auditoire.
En mars 1894, Antonín Dvořák invente Dix chants bibliques Op.99. Avec eux, goûtons la verve pleinement lyrique de l’interprète ; pourtant, là encore, le registre haut plafonne. La deuxième mélodie se dépose dans un velours confondant, quand la troisième, prière un rien véhémente, reste distante. La suite, malgré la soigneuse conduite de la dynamique et une évidente musicalité, demeure en-deçà du talent qu’on connaît au chanteur, assurément en méforme passagère – la fin de la première manche livre au grave une raucité inhabituelle. Encore faut-il relever le peu d’intérêt de l’œuvre elle-même, avec ses poèmes contrits dont à chaque tourne semblent pleuvoir bénédictions et auréoles.
L’entracte passé, tout change.
Encore peu connu sous nos cieux continentaux, Roger Quilter (1877-1953), bien ancré dans son Angleterre natale, s’est emparé de l’héritage élisabéthain, puisant dans le terreau folklorique comme dans les sonnets de William Shakespeare. En 1905, il signe Three Shakespeare Songs Op.6, prémices aux cinq autres qui paraîtront une quinzaine d’années plus tard. Le nauséeux balancement pianistique accompagne tristement la barque de Caron, « black coffin » dessus lequel le timbre de René Pape s’ouvre délicieusement. Après la douce ballade amoureuse O Mistress mine, l’ultime souffle hivernal joue d’une sorte de mélancolie cynique – Blow, blow thou winter wind, subtilement mené.
Si Shakespeare passionna les créateurs russes du dernier quart du XIX siècle, ce sont des vers de Golenichtchev-Koutouzov qui inspirèrent à Modeste Moussorgski ses Chants et danses de la mort Op.45 (14 avril 1875 – 5 juin 1877). Le baryton-basse s’y lance éperdument, convoquant ce que la couleur vocale possède de plus sombre – on regrette le piano un peu maigre de Camillo Radicke dans ces pages qui requièrent aura plus ardente. Car nous ne sommes plus dans la mélodie mais dans le monodrame. La langue russe sied bien à Pape. La lutte de la mère de Колыбельная se perd dans le sourire sarcastique d’une mort plus proche de Méphisto' que de la Faucheuse… L’expressivité robuste de Серенада est au rendez-vous d’une sicilienne tragique, noire. Boris n’est pas loin… Passé un lugubre Трепак de cabaret, Полководец fait figure d’orageux air d’opéra, alternant, toujours à la manière de Godounov, des aléas recitativi à des phrases lyriques soutenues.
BB