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Chroniques
L'incoronazione di Poppea | Le couronnement de Poppée
opéra de Claudio Monteverdi
Créé en 1934, le Glyndebourne Festival déploie ses fastes de mai à août. Chaque été, il présente six productions dans son merveilleux théâtre doté d'une fine acoustique, construit en 1994 pour accueillir deux-mille-deux- cents spectateurs. Rappelons les origines de cette manifestation exceptionnelle, tant par la qualité de ses représentations que par le cérémonial singulier qui préside à son déroulement.
John Christieouvre le chemin. Mélomane et propriétaire de la fabrique d'orgues Norman & Beard, il hérite en 1920 d’un beau manoir de style néo-élisabéthain, le domaine de Glyndebourne, dans le Sussex. Il fait transformer la salle de musique afin d'y installer l'un des orgues les plus importants d'Angleterre. Rapidement, il choisit d'accueillir des spectacles lyriques. Pour en assurer l'organisation, il emploie une cantatrice, Audrey Mildmay, dont il tombe amoureux et qu'il épouse en 1930. Après un voyage au Salzburger Festspiele et à Bayreuth, le couple décide de faire de Glyndebourne le lieu élu d'un festival professionnel d'opéra, afin d'inciter à la découverte et à l'approfondissement des œuvres et présenter « non pas le meilleur que nous puissions faire, mais le meilleur de ce qui puisse être fait où que ce soit ».
L'édition 2008 (du 18 mai au 31 août) offre plusieurs productions, dont Le couronnement de Poppée. L'opéra de Monteverdi prend vie sous la baguette inspirée d'Emmanuelle Haïm à la tête de l'excellent Orchestra of the Age of Enlightenment dont les timbres nuancent les couleurs de l’œuvre. Sous la battue de la cheffe française, la formation britannique suit les fluctuations de tempi, explore la progression rythmique de l'action pour accompagner tous les registres des sentiments humains, portés par les voix. Cette direction engagée mène efficacement l'action dramatique et communique une énergie qui insuffle aux musiciens et aux protagonistes du drame les accents de l'amour et du désir, jusqu'à la folie. Les chanteurs habitent leur personnage, tous soutenus par la vision théâtrale rouge-passion de la mise en scène de Robert Carsen, dans les décors de Michael Levine qui inventent un espace de jeu d'une grande expressivité.
Alice Coote incarne un Néron ivre de sensualité. Ses duos avec la séductrice et ambitieuse Poppée dégagent un érotisme brûlant. Chantée parDanielle De Niese, irradiante, d'une belle ligne vocale au timbre suave, Poppée forme avec Néron un couple fatal d'amants magnifiques, entourés d'une distribution homogène et convaincante. Citons l'Octavie pathétique de Tamara Mumford, la Nourrice confiée au contre-ténor Dominique Visse, l’émotion profonde qu’instille le Sénèque de Paolo Battaglia, l'infortuné et contradictoire Othon campé par Christophe Dumaux, l'Analta maternelle et néanmoins ironique de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke.
Monteverdi a soixante-quinze ans lorsqu'il compose cet ultime chef-d'œuvre, sur un livret de Francesco Busenello qui puise dans les Annales de Tacite. Évocation envoûtante d'une page de l'antiquité romaine, L'incoronazione di Poppea s'inscrit dans la lignée de l'opéra historique. Mais il noue ensemble intrigue sentimentale et situation politique pour privilégier l'exaltation de l'amour à la vérité stricte des faits, ainsi que le souligne le Prologue où trois personnages allégoriques (Amour, Vertu et Fortune) disputent de leur pouvoir. Amour affirme sa victoire sur ses rivales. Le couronnement en fera la démonstration à travers l'aventure passionnelle de Néron et de Poppée. Cependant, le regard lucide du compositeur semble sans illusion sur une félicitée éphémère, gagnée au prix de crimes cyniques et de vils mensonges. Se côtoient grandeur et misère, tragédie et comédie au cœur de la complexité de chacun des personnages. L'art de Monteverdi croise la trame principale et l’intrigue secondaire, fait se succéder librement, dans la diversité, scènes bouffonnes ou sérieuses, séquences dramatiques, duos d'amour qui se rattachent à une architecture d'ensemble unifiant les séquences. Le langage musical s'adapte aux situations et au rythme théâtral. Par des équivalences sonores, il traduit tempéraments et caractères. D'une grande puissance, la vocalité épouse les variations des affects selon le développement poétique et musical monteverdien.
L'incoronazione di Poppea se présente comme la somme des recherches qui occupèrent la réflexion de l’artiste italien et l'aboutissement de ses acquisitions musicales comme harmonie entre les nécessités de la scène et l'épanouissement de la mélodie. L'œuvre énonce les principes de l'opéra selon Monteverdi qui veut que la forme dramaturgique soit toujours au service de la voix et en exalte toutes les possibilités. Représentée en 1642 à Venise au Teatro Santi Giovanni e Paolo, elle n'a pas fini de fasciner ! Surgis de l'ombre, les héros de la légende ont gardé leur mystère pour entretenir l'écho de nos rêves. Les représentations de Glyndebourne maintiennent intactes la beauté des émotions, la poésie des songes.
MH