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Chroniques
L'infedeltà delusa | L’infidélité déboutée
opéra de Joseph Haydn
Décidément, votre serviteur joue de malchance. En trois jours et deux concerts, deux musiciens indisposés… Mercredi dernier, c'était David Finckel du Quatuor Emerson ; ce soir, pour l'Infedulta delusa de Haydn, c'est le soprano Ina Kringelborn qui incarne habituellement Sandrina, la jeune première. Comme souvent dans ces cas-là, lorsqu'il n'y a pas de doublure désignée, elle est remplacée au pied levé, sur scène, par une doublure muette et, dans la fosse, par une chanteuse, partition en main.
C'est l'occasion de découvrir un tout jeune et remarquable soprano espagnol, Elisandra Malian. Cette soirée revêt une importance unique pour elle : à vingt-quatre ans, c'est son premier contact aussi bien avec l'orchestre qu'avec l'opéra international – c'est d'ailleurs difficile à croire… Que de caractère, que d'agilité ! Dotée d'une voix charnue et épicée, elle est impressionnante de présence et de brio, de volume et de maîtrise. Tour à tour piquante et émouvante, elle trouve pour chaque air le ton juste. Le seul reproche qu'on pourrait lui adresser (et encore) serait de ne pas toujours être à l'aise avec les tempi imposés par Jérémie Rhorer.
Mais qui connaît les habitudes endiablé de ce chef ne pourra que pardonner ces menues imperfections. Menant un train d’enfer, Rhorer conçoit chaque air comme une large respiration, donnant lieu à des phrasés planants, extrêmement tendus. Et Elisandra Malian n'est pas la seule à peiner pour suivre cet homme, pressé jusque dans les récitatifs : chanteurs et musiciens s'essoufflent, de même que le public qui n'a jamais le temps de respirer. Associé à la mise en scène sans grande inspiration de Richard Brunel qui enchaîne les idées farfelues sans prendre le temps d'en exploiter aucune jusqu'au bout, ce manque de contrastes dynamiques laisse en bouche un petit goût de frustration.
Bien heureusement, Jérémie Rhorer lâchera l'accélérateur dans le second acte, qui, avec le retour en force de la Commedia dell'Arte, verra le triomphe de Claire Debono. Ce jeune et talentueux soprano venu de Malte via Londres, et que l'on pourra entendre en mai prochain à Pleyel dans Il ritorno d’Ulisse in patria (sous la direction de William Christie), est Vespina, réincarnation féminine de Scapin et de Sganarelle et préfiguration de l'inénarrable Susanna des Nozze. Le rôle lui va comme un gant et la souplesse de la voix permet, avec un égal bonheur, tous les déguisements et toutes les fourberies.
JS