Recherche
Chroniques
L'Instant Donné
Gérard Pesson et Johannes Schöllhorn
Ce programme réunit deux compositeurs de la même génération, séparés par le Rhin, qui l’un comme l’autre firent abstraction de cette frontière : Gérard Pesson (né en 1958) dit son intérêt pour la musique d’Helmut Lachenmann qu’il découvrit en 1987, tandis que Johannes Schöllhorn (né en 1962), voulant échapper à l’influence allemande de l’époque – notamment celles de Klaus Huber et de Mathias Spahlinger qui furent ses professeurs –, avance le Trio de Ravel comme son premier enchantement musical et se penche sur l’œuvre de Pierre Boulez. Outre la pratique d’une écriture du fragment, l’indifférence à l’électronique et à toute composition assistée par ordinateur scelle le rapprochement entre ces deux univers, occasion d’un portrait croisé.
L’Instant Donné – ensemble de chambre dont les membres participent aux décisions artistiques autant qu’à l’organisation quotidienne, et dont le répertoire comprend Boucourechliev, Pattar, Gervasoni, etc. – nourrit une passion singulière pour les œuvres des créateurs avec lesquels ils collaborent. C’est le cas avec Gérard Pesson et Cassation (2003), pour ensemble de cinq instrumentistes.
Le corps de la clarinette est raclé, les cordes du violoncelle frottées de la paume, l’archet du violon et de l’alto n’intervient que dans le dernier tiers du morceau, la pédale du piano résonne dans le silence comme un battement de cœur. Mélody Louledjian intervient dans L’Instant de l’eau... (2006) – instrumentation d’Olivier Beaufils sur deux pièces plus anciennes (Mélodies carthaginoises, Fantaisie égyptienne) – et dans Cinq chansons (1999), utilisant les mots de Marie Redonnet en prémices à l’opéra Forever Valley (2000). Doté d’un timbre attachant, le soprano possède une diction idéale, mais la présence de quelques couplets dans le programme n’aurait pas été un luxe. Outre le bref Instant tonné (2006), les deux In Nomine (2001) au minimalisme un rien maniéré, l’un transcrit d’après John Taverner, l’autre d’après Thomas Tallis, encadrent cette première partie de soirée à la remarquable tendresse.
Même si son opéra de chambre Les petites filles modèles fit l’objet d’une tournée en 1997, Johannes Schöllhorn est moins connu chez nous que l’élève d’Ivo Malec et Betsy Jolas. Actuellement, il est professeur de composition à la Hochschule für Musik und Theater de Hanovre. C’est la première fois qu’il est invité à Musica.
Dans Berstend-starr (1992), Schöllhorn travaille sur la première version d’Explosante-fixe, œuvre « ouverte » de Boulez qui connut différentes formes depuis 1972. Il prend à la lettre les prescriptions pour la réalisation, mais sans tenir compte du style ou de la rhétorique. Selon l’analyse de Martin Kaltenecker, son art consiste « à produire de petits chocs socratiques, à utiliser des raccourcis surprenants, à éclairer un matériau sous un angle inattendu », comme cette structure sérielle qu’on trouve mise un moment en rotation pour devenir une structure répétitive. Hélas, la pièce s’enlise dans la construction formelle, suite de sons sans liens, agencés sans soucis d’alliage ou de légèreté, avec la préciosité d’anachronismes volontaires (usage daté du xylophone).
Une part de son œuvre explorant la transcription, la fin de la soirée propose de remonter le temps un peu plus avec le Pierrot lunaire de Max Kowalski, écrit pour voix et piano en 1913 et arrangé pour l’instrumentarium choisi par Schönberg pour sa propre vision du sujet. Pastiche d’une musique d’avant-guerre(s), ce clin d’œil à une époque révolue n’a d’intérêt que par la présence de Marie Fraschina, jeune mezzo-soprano se spécialisant dans les œuvres scéniques. La voix est souple, d’une belle couleur, bien projetée. La diction est soignée et le jeu expressif. Un surtitrage de cette petite demi-heure n’aurait toutefois pas été le malvenu.
LB