Chroniques

par nicolas munck

Lise Berthaud et Arnaud Thorette
œuvres d’Amy, Bach, Bartók, Beffa, Benjamin, Bloch et Hersant

Festival Messiaen au Pays de La Meije / Église du Monêtier-les-Bains
- 31 juillet 2013
le compositeur George Benjamin, invité du Festival Messiaen au Pays de La Meije
© matthew lloyd

Après Musique des couleurs en 2011 et La classe d’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris l’été dernier [lire nos chroniques des 18, 19 et 20 juillet 2012], la seizième édition du Festival Messiaen au Pays de La Meije célèbre une nouvelle fois la figure pédagogique du compositeur français au fil d’un séduisant programme qui met à l’honneur deux Britanniques ayant étudié dans sa fameuse classe : Alexander Goehr (né en 1932) et George Benjamin (né en 1960). Une autre spécificité vient s’immiscer dans ces rapports de filiation : si Benjamin [photo] intègre officiellement la classe de Messiaen en 1977, il quitte prématurément le Conservatoire (au moment du départ à la retraite de son professeur, un an plus tard) et regagne l’Angleterre et Cambridge où poursuivre l’apprentissage de son métier de compositeur auprès de Goehr. En sus des concerts qui tissent des liens permanents entre les deux compositeurs-phares de cette édition, une table ronde (en leur présence) questionne l’impact de l’enseignement de Messiaen et la place des deux créateurs dans le champ de la production contemporaine. C’est donc avec un appétit aiguisé par la somptuosité du lieu que nous assistons à notre premier concert.

Si l’on en croit les annonces officielles, nous attend ici un programme composé du concerto pour deux altos Gemmi (2006) du jeune compositeur écossais Martin Suckling, actuellement étudiant en doctorat de composition à la Royal Academy of Music de Londres auprès de George Benjamin, D’ombre et de lumière de Gilbert Amy – un élève de Messiaen ! –, du mémorable Viola, viola de Benjamin et d’une sélection de transcriptions de madrigaux de Monteverdi – rappelons que le père de Goehr, le chef d’orchestre Walter Goehr, donna régulièrement à entendre cette musique en Angleterre après la montée du totalitarisme en Allemagne.

Un profond bouleversement de ce menu pourtant si cohérent nous prive de Gemmi et des transcriptions qui laissent place à une juxtaposition de pièces qui, d’un regard un peu extérieur et déçu, semble s’apparenter à une trajectoire plus artificielle et bricolée. Ainsi de deux Inventions de Bach en version violon/alto, quatre duos pour deux altos de Bartók, Supplique pour alto solo de Karol Beffa, la Suite pour alto de Bloch (dont le quatrième mouvement est inachevé) et la Pavane pour alto de Philippe Hersant. Notre frustration est d’autant plus grande – nous ne parlons pas de la privation de la découverte de la musique de Martin Suckling – que le projet initial, décliné autour des spécificités de l’écriture à deux altos, prend une allure de récital croisé au cœur duquel cette combinaison n’est plus.

Ce sentiment est vite effacé par les richesses et qualités interprétatives des altistes Lise Berthaud et Arnaud Thorette qui rendent homogène la soirée. En définitive, nous en arrivons même à considérer que les « interludes » (nommons ainsi les pages de Bach et de Bartók) constituent une respiration intéressante et même nécessaire, tant dans l’intention musicale que d’un point de vue historique. Notons également que le concert est efficacement introduit et commenté par Arnaud Thorette. Toutefois, et malgré cette volonté d’investir pleinement les opus ajoutés, la pièce d’Amy (en antépénultième position) entame le corps du programme.

Écrite en 2004, à partir de la version de 2003 pour alto solo, D’ombre et de lumière se compose de quatre mouvements contrastants qui présentent tour à tour les différentes identités sonores des deux altos (alternance d’une écriture solistique et chambriste). L’adjonction d’une seconde partie n’est pas à voir comme une négation de la première pièce, mais comme une extension du matériau initial. Dans le second mouvement (tempo vif en moto perpetuo) cette idée d’amplification (la notion de méta-instrument n’est pas loin) se rapproche de la synthèse électronique où captations, traitements « temps réel » et déclenchements sont assurés par entrecroisement des timbres.

Dans la dernière pièce (Final), qui n’est pas sans évoquer certaines sources stravinskiennes, le discours se développe en carrures irrégulières sur pizz’ structurant et rythmique plus incisive. Si de nombreuses œuvres du programme avaient plutôt tendance à mettre en lumière l’expressivité singulière et le lyrisme qui collent souvent à la peau de l’alto (dans une écriture, qui plus est, très continue), D’ombre et de lumière confirme la palette des interprètes du jour dans un travail de musique de chambre parfaitement abouti.

Le concert se referme sur Viola, Viola de George Benjamin. Décrite par son auteur comme « hyper-virtuose » entre « danse et combat », cette pièce de 1997 fut créée à l’occasion de l’inauguration du Tokyo City Opera ; lancé par Tōru Takemitsu, le défi consistait à envisager une page pour deux altos susceptible de remplir l’espace d’une telle salle. À sonécoute, ne doutons pas un seul instant que la gageure ait été accomplie. Benjamin use d’une écriture densifiée aux textures complexes (parfois aux limites de la saturation) où l’oreille perçoit essentiellement un son global et ambigu. Étrangement, le choix de disposition des pupitres rend souvent plus effectifs certains effets de projection et de spatialisation. Le dernier mouvement d’archets est immédiatement rejoint par une ovation franche et sincère. To be continued…

NM