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Chroniques
Lise Berthaud, Victor Julien-Laferrière et Adam Laloum
L'Achéron, Sultan Veled et Amel Brahim-Djelloul
Pour le quatrième et dernier épisode de notre séjour saintongeais [voir nos chroniques des 15, 16 et 22 juillet 2017], c'est au versant plus chambriste du Festival de Saintes que nous vous convions. Vendredi midi, un trio des plus prometteurs talents de la scène française présente un récital romantique. Lauréat du concours Reine Elisabeth de Belgique cette année, Victor Julien-Laferrière se joint au piano d'Adam Laloum pour faire ressortir la fluidité inventive des Variations sur un thème de « Die Zauberflöte » en mi bémol majeur WoO 46 de Ludwig van Beethoven. C'est ensuite l'alto charnu de Lise Berthaud qui se joint au violoncelle, dans l'humoristique Duo avec lunettes obligées en mi bémol majeur WoO 32. De Robert Schumann, les Märchenbilder Op.113 pour alto et clavier respirent avec une intériorité noble, presque sophistiquée à l'archet, avant un Trio en la mineur Op.114 de Johannes Brahms où l'intensité de l'inspiration n'a nul besoin d'effets appuyés – un bel exemple d'équilibre.
Le lendemain, également à l'heure de la collation méridienne, Gli Incogniti et Amandine Beyer [lire notre entretien] s'ébaudissent dans un Vivaldi nourri de couleurs plus que d'artifices. Certes, la Sinfonia en ut majeur RV.725 de L'Olimpiade ne fait pas l'économie de quelques attaques anguleuses à vocation picturale. Mais, plus encore que le Concerto pour violon en fa majeur RV.282, le RV.420 (en la mineur) pour violoncelle ne néglige pas les ressources lyriques du soliste. Précédé de quelques indications historiques, le RV.313, écrit pour « violono in tromba », joué par la directrice artistique de l'ensemble, explore le pittoresque sans jamais perdre le plaisir de l'auditeur. Transcrit d'après le RV.517, le Concerto pour violon et orgue en sol mineur mêle les séductions du clavier d'Anna Fontana à l'archet d'Amandine Beyer, avant un également divertissant RV.228 en ré majeur.
Mais Saintes, ce sont les escapades hors des sentiers battus. Rien ne l'illustre mieux que le programme imaginé par Amel Brahim-Djelloul avec les musiciens de L'Achéron et du Sultan Veled, retraçant le voyage fait par Thomas Dallam, facteur d'instruments envoyé par Elizabeth I pour offrir, à des fins évidemment diplomatiques, un orgue semi-mécanique au sultan Mehmet III. Suivant les extraits du récit collationnés pour plonger le public dans cette aventure unique, le spectateur suit l'expédition tandis que les sonorités mêlées, européennes et orientales, rapprochent les deux mondes comme dans les impressions et la mémoire d'un voyageur troublé par l'inconnu. Loin d'aplanir artificiellement les différences, le discours musical, sans interruption – si ce n'est de brèves indications des étapes du périple pour ne pas perdre l'auditoire – joue d'anastomoses d'une pièce à l'autre, jusqu'à faire dialoguer les frontières, parfois aux confins de la porosité, restituant ainsi les sinuosités d'une ambassade, dans un remarquable travail d'historiographie immersive.
Sans prétendre à l'exhaustivité, on retiendra les emblèmes de l'ère victorienne, tels les songs de Dowland (Come again ; Can she excuse my wrongs ; Now, o now, I needs must part – mélancolique et nocturne manière de refermer la narration), agrémentés de pièces instrumentales d'Anthony Holborne (ca 1545-1602), tandis que Gazi Giray Han II (1554-1607) ou le sultan Murad IV (1612-1640), par exemple, ouvrent une fenêtre sur les sonorités ottomanes. Une magie intelligente et salutaire où dessus de viole, flûte, hautbois, clavecin et orgue rencontrent et apprivoisent leurs presque homologues, le bois du ney, le clavier du qanun, les cordes de l'oud ou du lavta, enrichis de percussions, tombak, bendir, dayere et riqq, et que magnifie le délicat babil d'Amel Brahim-Djelloul.
GC