Chroniques

par bertrand bolognesi

Liszt Ferenc Kamarazenekar
Mario Brunello, violoncelle et direction

Budapesti Tavaszi Fesztivál / Pesti Vigadó, Budapest
- 18 avril 2015
au Printemps de Budapest, Mario Brunello dirige le Liszt Ferenc Kamarazenekar
© dr

Si toujours le plaisir est grand d’assister à un concert au MUPA [lire notre chronique de la veille], il ne le cède en rien à celui de découvrir un nouveau lieu. À vrai dire, le Vigadó n’est certes pas un « nouveau lieu », puisqu’à partir de 1860 il fut édifié par Frigyes Feszl (1821-1884) sur l’emplacement de l’ancienne Redoute, en activité de 1833 à 1849, date de sa destruction sous les boulets autrichiens (répression du Printemps des peuples). Cependant, cette salle de concert, considérée autrefois tant comme un lieu de divertissement que de culture, avec hall d’exposition et salle de bal, était fermée depuis une dizaine d’années pour une nouvelle restauration, après celle de 1966 (la façade ayant beaucoup souffert pendant la dernière guerre mondiale) et les nombreux aménagements, plus ou moins heureux, subis entre 1968 et 1980. De fait, notre première rencontre avec le Vigadó remonte à mai 1997 : après une décennie de programmes classiques prestigieux, derrière sa devanture noircie par le peu d’entretien et les désastres de la pollution urbaine se jouaient alors comédies musicales, opérettes et divers spectacles de variétés, masquant des heures plus glorieuses.

Désormais tout beau tout propre, au bord du Danube, le Vigadó fait face au château de Buda. Passées ses statues, c’est dans un large vestibule aux styles mêlés que nous pénétrons d’abord, annonçant ce que confirmeront l’impressionnant escalier et sa grande fresque : des éléments néo-romans croisent les ors fin-de-siècle sous des piliers et un plafond qui ne dédaignent pas l’ornementation orientalisante. Dans la grande salle, de proportions cependant assez modestes, nous entendons le Liszt Ferenc Kamarazenekar (Orchestre de chambre Ferenc Liszt), formation cinquantenaire bien connue des amateurs de l’effectif Mozart.

Au château Esterháza (Fertőd) est représenté Le distrait, comédie en cinq actes et en vers de Jean-François Regnard (créé à Paris en 1697) : nous sommes en 1775, depuis six ans Joseph Haydn s’est installé au domaine, protégé par le prince Nicolas – pour lequel il écrira ses trios avec barytondonc certains furent donnés au Printemps des arts de Monte-Carlo l’an dernier [lire notre chronique du 22 mars 2014]. C’est tout naturellement que le musicien produit une musique de scène, rapidement « recyclée » en symphonie. À la tentation d’expliquer par sa première destination les audaces de cette œuvre, on objectera le goût du compositeur pour l’expérimentation, quelque soit le cadre formel dans lequel son inspiration s’est appliquée. Quant à la fragmentation du dernier mouvement, peut-être y sourit-on encore du peu de présence au monde de l’anti-héros de Regnard.

Dès l’Allegro di molto, la Symphonie en ut majeur « il distratto » Hob.I:60 témoigne de l’inventivité d’Haydn. Ouvert par un geste faussement lourd, le mouvement s’énonce ensuite dans une touffeur gracieuse, avantageusement servie par la savoureuse onctuosité de l’orchestre hongrois. Point trop réverbérante, l’acoustique du Vigadó transmet fidèlement la surprise rythmique et le grain rond des tutti. Au pupitre, Mario Brunello engage un Adagio débonnaire plutôt que lent, d’une amabilité délicatement infatuée où, une nouvelle fois, se loge l’humour du compositeur. Le Menuet ronfle gentiment son premier visage, laissant à la modulation du trio le soin d’étonner. Bravo aux archets vigoureux et rigoureux du Liszt Ferenc Kamarazenekar pour l’exactitude confondante du Presto ! Avec eux, mais encore dans la couleur finement travaillée de bois, nous approchons ce soir une tradition interprétative admirable, à laquelle ne déroge pas la réalisation subtile du second Adagio, à l’ironique oisiveté. La saine fierté des cuivres s’exerce encore dans l’ultime Prestissimo, sur un tutti électrique.

Mario Brunello joue et dirige le Concerto pour violoncelle en ut majeur Hob.VIIb:1, écrit un peu plus d’une dizaine d’années auparavant, lorsqu’Haydn était au service du prince Paul. Il insuffle une cordialité nuancée à l’introduction, pressant légèrement le tempo de son entrée. Il chante franchement le Moderato, farouchement articulé. Son jeu se stabilise dans l’Adagio médian, concentré sur une dynamique fort soignée. Tout juste aimerait-on un Allegro final moins pâle. Pour finir, c’est dans le Concerto pour violoncelle n°2 de Nino Rota (1973) que le soliste italien se révèle particulièrement probant, par une attaque nettement plus maîtrisée de son aigu et une expressivité qui dépasse largement l’œuvre elle-même, illutée d’une envahissante volonté de séduire.

BB