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Loïc Pierre dirige Mikrokosmos
Grieg, Larsen, Luboff, Mantyjärvi, Monk, Pedersen,
Non content d'explorer le répertoire vocal dans sa diversité, ainsi qu'en témoigne notre première recension sur cette édition 2017 [lire notre chronique de la veille], les Rencontres musicales de Vézelay réservent au mélomane des découvertes, à l'instar du concert La nuit dévoilée de l'ensemble Mikrokosmos, sous la houlette de Loïc Pierre, qui s'inscrit dans un triptyque engagé dans une tournée – la présente soirée bourguignonne en constitue la soixante-douzième étape. Si l'usage d'une spatialisation scénographique permet généralement d'amplifier les ressources théâtrales d'une œuvre ou d'un corpus, rares sont les dispositifs qui parviennent à une réelle fascination narrative.
Dès que les lumières de la basilique s'éteignent et retentissent conjointement les cloches tubulaires et les répétitions de Leon de Joby Talbot (né en 1971), qui ouvriront chacun des trois moments du parcours musical, le spectateur est plongé dans un flux envoûtant qui définit ses propres repères, parfois à rebours des pratiques consacrées – à titre d'exemple, les déambulations des solistes dans la nef les mettront parfois dos au public ou laisseront seul en scène le chef battre la mesure. Puisant dans un vaste corpus méconnu du dernier siècle et du début du présent, où les expérimentations voisinent avec l'enracinement folklorique, le programme rehausse une apparente hétérogénéité en une ballade onirique, entre solitudes nordiques et délicates introspections, baignée d'un bleu nocturne et inspiré.
Les concrétions rythmiques des onomatopées et bruitages de Plague de Meredith Monk (née en 1942) enveloppent les oreilles, plus tard hypnotisées par les sonorités sans verbe de Jewish storyteller, Dance et Dream, magnifiant la veine évocatrice d'une vocalité qui se donne comme textuellement mutique, et qu'emprunte également le jeune Gjermund Larsen (né en 1982) dans Halling frå senja, nourri de percussions.
Les trois extraits de Figure humaine de Poulenc (Toi ma patiente, Riant du ciel et des planètes et Le jour m'étonne et la nuit me fait peur) exhalent une poésie décantée à laquelle répondent les fragrances simples de la mémoire populaire, scandinave et balte. Dans Gjendines bådnlåt de Gjendine Slålien (1871-1972), l'expression s'en fait presque sans filtre, et Die Stimmes des Kindes de Jaakko Mäntyjärvi (né en 1963) assume une ascendance romantique au delà de l'induction linguistique. Laine veereb de Veljo Tormis (1930-2017) fait respirer le roulis des vagues, et cet instinct descriptif infuse dans une foi immédiate développée par l'hymne vespéral de Grete Pedersen (née en 1960), Ned i vester soli glader, redonné en bis : la tendresse des teintes et des modulations transmue une apparence de naïveté tonale.
Le versant anglo-saxon n'est pas négligé, illustré par The full heart de Peter Warlock (1894-1930) et Black is the color, amoureuse complainte de Norman Luboff (1917-1987). L'aventure s'achève sur un arrangement sans paroles par Loïc Pierre lui-même d'un Folkestone Op 71 d’Edvard Grieg où les solistes s'apparient bras dessus bras dessous, avant de quitter la scène sur une marche nuptiale d’Henning Sommerro (né en 1952), Brujemarsj, refermant un tout qui vaut plus que ses parties, distillant une alchimie singulière, exceptionnelle, entre émotion et intelligence.
GC