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Chroniques
Lohengrin
opéra de Richard Wagner
Il est toujours fort intéressant de pouvoir découvrir deux nouvelles productions d’un même ouvrage à quelques semaines d’intervalle. Ainsi, après le Lohengrin de Nantes [lire notre chronique du 14 septembre], c’est à Bordeaux que nous retrouvions le chevalier au cygne, dans une mise en espace – terme précautionneusement modeste tout à l’honneur de son auteur – de Giuseppe Frigeni. Nous avions été enchantés, il y a deux ans, ici même, par sa vision du Macbeth de Verdi, où la magie était omniprésente. Ce soir, si dans l’ensemble une proposition extrêmement stylisée et poétique a pu satisfaire, on attendait plus de mystère. Cela dit, il s’agit bien d’une mise en espace, et l’on peut supposer qu’avec une direction d’acteurs plus approfondie, certains choix maladroits du second acte se seraient annulés d’eux-mêmes. Pour le coup, il ne suffit pas d’être cérémonieux pour créer une vraie cérémonie.
Tout le spectacle se passe devant un fond bleuté qui peut rappeler que Frigeni fut longtemps l’assistant de Bob Wilson ; c’est en cela qu’on put également se trouver déçu : la forte personnalité qui sourdait de son Macbeth se fit ici excessivement discrète. Quelques éléments symboliques apparaissent çà et là au fil de l’action, fort intellectualisés, sans cette force directe qu’on avait appréciée alors. Le cygne est à peine évoqué par un dispositif lumineux assez esthétique : l’idée est belle ; cela dit, quiconque ne connaît pas son Lohengrin par cœur fera semblant d’avoir compris. Il est vrai qu’on ne peut non plus imaginer une représentation franche de la chose sans sombrer dans le kitch. C’est un vrai problème, on le sait, mais ce type de solution n’est qu’un pis aller en attendant mieux.
Dès les premières mesures du premier Vorspiel, on a pu goûter en fosse un beau travail de la couleur. Certes, quelques faiblesses de la part des violons et des altos ont un peu retardé l’immersion dans cette sorte de solitude bénéfique que procurent immédiatement ces pages. Yutaka Sado en a donné une lecture attentive, soignée, un brin distante par moment, sachant quand il le fallut soutenir avec plus d’engagement le drame de la vérité, du secret et de l’ambition. On aura constaté l’efficacité d’un pupitre de cuivres en pleine forme, condition obligée pour une partition qui le convoque copieusement. Le lever de rideau découvre un enfant blanchâtre et malingre se découpant sur le fond ici bleu-Klein, recroquevillé dans une posture rappelant volontiers le Buto, tandis qu’un immense œuf noir descend lentement des cintres, un symbole que l’on retrouvera tout au long du spectacle, sous d’autres formes, et dans diverses circonstances.
On fut rapidement déconcerté par un choix de distribution assez étrange. C’est avec un immense plaisir qu’on entendit le timbre d’une noblesse remarquable et la voix magnifiquement envahissante deHans Tschammer dans l’Oiseleur ; son chant a su gagner un naturel stupéfiant, et impose une présence scénique évidente reposant sur des qualités personnelles autant que sur un grand métier. Le Héraut de David Grousset parut assez quelconque, sans plus. Dans un rôle où on ne l’aurait attendue, Mireille Delunsch propose une Elsa un peu serrée, à la voix parfois coupante, peut-être courte, aussi, qui créée un chant légèrement suranné qui aura pu contribuer à rendre éternel le personnage. Ses premiers mots furent dits avec une sorte de lassitude et de fatalisme déchirants. Helga Thiede donnait une Ortrud incomplète, si l’on peut dire ; l’on entend bien que la voix dut être superbe un jour, mais à présent, elle est usée, presqu'inaudible dans le grave, instable dans le médium, et tout à fait excitante dans l’aigu. Avec une grande présence en scène, une technique lui permettant encore de soutirer ce qui reste de mieux de son organe, cette artiste aurait pu incarner plus avantageusement Ortrud sans la surenchère de la mise en scène qui n’hésite pas à la transformer en épouvantail. Maquillage outré, costume affreux, coiffure déjantée, bref, tout l’attirail était au rendez-vous, mais là encore, il ne suffit pas de convoquer les codes de l’horrifique pour créer un véritable danger. Telramund est avantageusement campé par l’écossais Philip Joll qui offre une grande richesse de couleur et un chant d’une grande vaillance. Tout cela, ajouté à un charisme évident, défend un personnage d’une grande probité sur l’honnêteté duquel on ne peut à aucun moment s’interroger. Il fera à l’Acte II figure de héros, et l’on aurait pu, au contraire, douter du héros véritable.
Enfin, c’est Keith Lewis qui prête à Lohengrin un timbre vaillant mais peu flatteur, une technique incertaine, un placement vocal indéterminé, et d’impardonnables approximations, surtout dans le troisième acte. Toutes les attaques pianissimo dans l’aigu furent effectuées en voix de tête, pour redescendre la phrase assez maladroitement vers un appui souvent heurté, de nombreux aigus furent craqués, et la voix en elle-même a paru très fatiguée. Le résultat de tels choix est déroutant : tandis que Telramund crie vengeance sous l’emprise d’une Ortrud qui paraît avant tout sa mère plutôt que sa compagne, un Chevalier bedonnant (le costume n’est vraiment pas flatteur...) vient défendre la cause de la douce Elsa qui pourrait être sa fille. La magie rassemble Ortrud et Lohengrin, certes, mais ici, la génération les associe plus certainement.
C’est moins gênant pour le couple Ortrud|Telramund, leurs voix parvenant à fonctionner ensemble, que pour Elsa|Lohengrin : inévitablement, le Chevalier y perd en crédibilité, et de protecteur qu’il pourrait paraître avec son allure d’aîné, il reste immanquablement lu comme un vieillard qui courre la gueuse. Cependant, les révélations du dernier acte fonctionnent malgré tout, et l’on ne saurait dire que ce Lohengrin fût mal pensé. Attendons que Giuseppe Frigeni signe un travail qui lui paraîtra mériter le titre de mise en scène et, pour sûr, nous aurons alors d’agréables surprises.
BB