Chroniques

par bertrand bolognesi

Lohengrin
opéra de Richard Wagner

Münchner Opernfestspiele / Bayerische Staatsoper, Munich
- 29 juillet 2010
©  wilfried hösl

Ce n’est pas tous les soirs fête, à la Staatsoper de Munich, bien qu’on ait pu le croire lors des spectacles appréciés ce mois-ci. Inégale, la distribution de ce Lohengrin s’avère peu concluante, à plusieurs égards. À commencer par Robert Dean Smith qui, pour affirmer des phrasés aériens et une émission avantageusement claire, n’en demeure pas moins trop léger dans le rôle-titre, ce qui le contraint à forcer disgracieusement l’aigu. L’incarnation n’est pas déshonorante, loin s’en faut, mais ne satisfait pas. On retrouve Waltraud Meier dans la partie d’Ortrud qu’elle a souvent chantée, ici d’une perfidie subtilement intériorisée qui ne révèlera ses cartes qu’à maturité, si l’on peut dire. Cette option de jeu occasionne un chant savamment nuancé, malgré une petite forme, il faut le dire, de la chanteuse qui sera la Klytemnestra de Strauss dans quelques jours à Salzbourg. Le Telramund de Wolfgang Koch ne convainc pas plus, avec une voix changeant de place pour l’aigu et une justesse assez aléatoire lorsque la partition nécessite une articulation rapide. C’est le Chœur maison qu’il convient de féliciter pour la vaillance et la musicalité, la délicatesse et le muscle de sa prestation, ainsi qu’Evgueni Nikitin qui livre un Héraut fermement timbré. Les deux gagnants de la représentation restent l’excellent Günther Groissböck dont la pâte vocale, d’une rare opacité, fort dense, sert un Heinrich der Vogler luxueusement chanté, et, bien sûr, le pur velours d’Anja Harteros en Elsa, tout simplement superbe.

Depuis un mois, les musiciens du Bayerisches Staatsorchester occupent chaque soir la fosse munichoise, dans le cadre de cet Opernfestspiele qui tire à sa fin. Aussi leur pardonnera-t-on la fatigue accusée hier, dans Tannhäuser [lire notre chronique], fatigue d’autant plus oubliée que ce bon orchestre semble aujourd’hui à son zénith. Dès le premier Vorspiel, l’infinie clarté des cordes captive l’écoute, Kent Nagano profitant dignement de la pureté des traits de violons, d’une tendresse inouïe. Malgré tout, le chef ira trop fort dans le final du premier acte, brouillant les équilibres rendus difficiles par le méchant remue-ménage qui règne sur scène à ce moment-là. De fait, une tendance à couvrir les voix se fait sentir au fil des trois actes. À la décharge de Nagano, il faut signaler que la production ne tient absolument pas compte des questions d’acoustique. Ainsi, placer la masse chorale sur une passerelle de fond de scène, en hauteur, tandis que la fosse est très ouverte, n’est sans doute pas très recommandable. Il n’y a pas de règles : chaque théâtre impose les siennes, on le sait bien ; l’on déplore que le metteur en scène n’ait pas su les entendre.

Et quel metteur en scène, quelle mise en scène !
Son essentiel ressort : construire une maison. Autour d’elle, un régime qui peut paraître autocratique, en tout cas fort contrôlé, au travers duquel semble devoir passer le couple Elsa-Lohengrin, en tenue décontractée. L’univers n’est pas loin de celui d’une fantaisie anticipatrice des années soixante, sans que l’on comprenne clairement de quoi il s’agit. Outre qu’Elsa y apparaît en gentille simplette, d’une innocence s’apparentant à de l’idiotisme, il demeure malaisé de rattacher à l’intrigue les exercices de maçonnerie des amants. Sans conteste, Richard Jones veut nous dire quelque chose, mais le biais encombré qu’il emprunte n’atteint pas son but. Outre le ridicule de l’arrivée de celui qui devrait être le mystérieux Harpocrate wagnérien – cygne en peluche dans les bras (et le public de glousser, inévitablement) –, des contre-sens exaspèrent rapidement, comme la scène du duel qui sème le doute sur l’éventuel recours à la magie : au mieux, c’est oublier ce que magie et vérité veulent dire au temps de la chevalerie ; au pire, c’est rendre complètement incohérent le rapport de Telramund et Ortrud. Enfin, de nombreuses actions indépendantes parasitent les trois actes, déconcentrant l’œil du propos principal – pour mieux dire : déconcentrant l’œil de l’oreille.

BB