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Chroniques
Lohengrin
opéra de Richard Wagner
Il n’est pas si fréquent au mélomane toulonnais d’aller écouter Richard Wagner in loco. Faut-il le rappeler ? Les maisons d’opéra du sud de la France et ceux qui les fréquentent portent plus naturellement leur intérêt vers le bel canto, plus largement le répertoire italien, avec quelques avancées dans le catalogue français. Aussi se souvient-on d’y avoir vu un Parsifal à l’hiver 2010 (Nice) et une Walküre au printemps 2007 (Marseille) ; c’est peu. Programmer un « grand » Wagner (pas Fliegende Holländer, par exemple) à Toulon fait donc figure d’événement. Aussi les lieux paraissent-ils, de prime abord, s’y prêter relativement mal ; et pourtant… Le choix d’une mise en « espace » plutôt qu’en « scène » de la part d’un directeur qui mise le maximum sur l’excellence de sa distribution semble le plus sage, quand bien même certains pupitres d’un orchestre plus développé que le permettent les proportions locales occupent-ils bravement les baignoires (de fait, il en va exactement de même si l’on joue Wagner à Bordeaux, Nancy, Strasbourg, etc.).
Claude-Henri Bonnet a confié les clés de Lohengrin à Frédéric Andrau dont nous avions apprécié le travail pour L’enfance du Christ (Berlioz), ici-même il y a trois ans [lire notre chronique du 27 février 2009] ; nous retrouvons la même équipe, avec Ivan Mathis aux lumières et Luc Londiveau pour la scénographie. Le dispositif est sobre, aisément utilisable, idéal pour un ouvrage qui principalement convoque des tribunaux. Et l’on se surprend à trouver plus d’une fois la proposition d’une efficacité troublante, partant que les chanteurs l’habitent avantageusement, sans qu’on en puisse attendre, cela va de soi, de lecture hautement symbolique. Une passerelle centrale délimite deux « réservoirs » choraux et se conclut dans une coursive de haut de scène d’où sonnent les cuivres dramatisés. Quelques options de théâtre, toutefois, comme l’enfant qui traverse de sa délicate diaphanéité le tulle brumeux en fin de Vorspiel, comme le Héraut se faisant chef de chœur, fonctions qu’il cumule à celles de rapporteur de l’État, de maître de cérémonie, voire de grand manitou de la propagande, autant de petites touches qui tendent à faire sortir de son cadre la mise « en espace » annoncée. Et à parler espace, celui de ce soir, à se laisser dessiner par les contrastes d’éclairage, s’avère suffisamment évocateur, à l’instar, peut-être, des productions signées Wieland Wagner – pour ce qu’on en connaît à travers les documents conservés (il appartient à la génération qui les aborda en leur temps de démentir ou non ce propos).
Surprise, encore, d’entendre Giuliano Carella dans cette musique ! Non seulement sa lecture se révèle pertinente et soignée, mais encore lui imprime-t-il un lyrisme d’une tendresse fervente qui, plutôt que de se fossiliser en excessive solennité, se love, fluide, dans la veine enchanteresse de la partition. S’étonnera-t-on d’un je-ne-sais-quoi d’italien dans l’interprétation, un côté qui n’a certes rien d’antagoniste avec le Wagner de cette époque, voire avec ce que le compositeur recherchait dans une voix ? Que certains chœurs s’articule sur un mouvement bellinien n’est pas un non-sens, bien au contraire, il convient de le rappeler. Au service de son expressivité, l’Orchestre de l’Opéra de Toulon affirme de nets progrès qui donnent à penser la positive émulation suscitée par un tel projet, capable de tirer les forces maison vers le haut. Ainsi des cuivres pugnaces, de violoncelles et contrebasses musclés, avantageusement impactés, mais encore des artistes du Chœur de l’Opéra de Toulon et de ceux de l’Opéra national de Montpellier à leur prêter gosiers-forts (respectivement préparés par Christophe Bernollin et Noëlle Gény), dont on saluera particulièrement les éléments masculins.
Lohengrin, outre un orchestre omniprésent qui, à lui seul, raconte beaucoup, et un chœur qui, pour ainsi dire, le rend publique, c’est aussi de grandes voix. Le style épique attendu lorgne par moments de l’autre côté des Alpes, assurément, avec quelques points d’orgue assez ostentatoires, mais nous entendons là un plateau de haute tenue dont on saluera tant les prestations solistiques que les ensembles, avantageusement équilibrés et minutieusement conduits. Des quatre nobles, Kakhaber Shavidze retient l’attention. Timbre corsé, aigu cuivré, projection incisive caractérisent le Héraut de Simon Thorpe. L’Islandais Bjarni Thor Kristinsson paraît en petite forme, aujourd’hui, avec un aigu assez aigre, une ligne qui jamais n’atteint la plénitude souhaitée, une puissance manifeste qui, paradoxalement, semble quelque peu écrasée. Quoiqu’annoncé souffrant en lever de rideau, le baryton Anton Keremidtchiev offre un chant souple, direct, à Telramund. À peine pourrait-on supposer ses intervalles plus faciles d’habitude ou la clarté de la couleur plus brillante encore.
Après l’avoir applaudie en Isolde et en Brünnhilde [lire nos chroniques du 8 mars et du 20 mai 2007], nous reconnaissons l’idéal métal de Janice Baird qui campe ici une Ortrud sobrement enjôleuse, quand elle n’est pas génialement lascive et perverse. Si le grave est un peu dur, toutefois (est-ce un rôle de soprano dramatique qui a du grave ou de grand mezzo qui ne plafonne pas, « that is the question »), le chant se déploie toujours large, puissant et sensiblement nuancé. Présente à maintes reprises sur la scène toulousaine, mais encore à Paris, Ricarda Merbeth livre une Elsa toute de subtilité, surfant délicatement sur la réserve à l’Acte I, menant adroitement le faîte du chant par la suite, faisant toujours profiter d’une opulence vocale utilisée avec discernement. Enfin, survenant des coulisses, la première « apparition vocale » de Lohengrin prend des atours d’enfantine pureté grâce à l’émission exquise et claire de Stefan Vinke. Par la suite, on retrouve les qualités de fermeté du ténor allemand qui signe une incarnation de grande tenue.
BB