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Chroniques
Lohengrin
opéra de Richard Wagner
Dans la lumière rasante et crue d'un Brabant désolé, Valery Gergiev amorce le Vorspiel du premier acte dans un recueillement qui répond douloureusement à la désolation prostrée du plateau. Le climat s'impose immédiatement, le chef russe servant à la fois la partition wagnérienne et la vision qu'en eut le metteur en scène pour cette production de 1996. Au fil de la représentation, un souffle inspiré porte cette lecture, toujours précise, concentrée et même ténue, jusqu’à former une ogive dramatique somptueusement dessinée. Attentif à la cohérence dramaturgique comme à chaque détail plus pragmatique de sa charge (le fragile équilibre à maintenir entre fosse et scène, par exemple), Gergiev livre une interprétation d'une remarquable profondeur, avec la complicité des musiciens de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris qui, malgré quelques incertitudes réitérées des cuivres, honorent l'œuvre. De même les artistes des Chœurs, préparés par Peter Burian, s'avèrent-ils plus qu'efficaces, avec des interventions tant vaillantes que nuancées.
En dépit d'un préambule qui pourrait donner à penser que la soirée s'élève au rang des grandes du genre, avouons que la distribution se montre plutôt inégale. Certes, Jean-Philippe Lafont sait se faire entendre, quelque soit l'effectif instrumental mis en action, mais au prix d'attaques souvent heurtées et d'une ligne de chant presque toujours maltraitée. Du coup, son Telramund lasse vite, alors qu'il se montre par ailleurs plus délicatement expressif – il est vraiment touchant dans l'absurde désarroi de l’Acte II qui le pousse à défier une nouvelle fois le héros, par exemple. On s'en souvient [lire notre chronique du 6 octobre 2003] : Mireille Delunsch incarnait Elsa à Bordeaux où elle parvint à camper une princesse vocalement étroite mais crédible dans l'ensemble ; ce soir, dans les proportions moins confidentielles de l'Opéra Bastille, sa prestation demeure insuffisante. Avec un bas-médium et un gave éteints, un aigu javellisé, le personnage paraît sans consistance et le théâtre, qu'avec bonne volonté elle s'efforce d'y accoler, n'y peut mais. De même, si la dignité veloutée du timbre de Jan-Hendrik Rootering offre à Heinrich der Vogler des phrasés savamment menés, on regrette un impact aujourd'hui assez couvert qui rend malaisé l'accès à ses incontestables joliesses.
En revanche, la représentation prend avantageusement appui sur trois voix dont on saluera l'efficacité. Si Evgueni Nikitin ne nous convainquit guère en Godounov [lire notre chronique du 11 décembre 2005], son Hérault s'avère fiable, parfaitement en place et généreusement projeté, réunissant en son chant présence, clarté et grâce du phrasé, sans compter une santé confondante. En grande habituée du rôle, Waltraute Meier donne une Ortrud sinueusement excitante, n'hésitant pas à utiliser les ressorts les moins flatteurs du timbre comme les couleurs les plus appropriées – son invocation des divinités archaïques est passionnante. Enfin, c'est un Lohengrin évident que livre Ben Heppner, le chant allant tout simplement de soi, élégamment mené jusqu'à l'ultime révélation.
Onze ans plus tard, la mise en scène de Robert Carsen n'a pas pris une ride. Son triple cadre s'ouvrant sur un horizon de blockhaus face à une mer grise au morne ciel blanc contraste avec l'apparition superbe de verdure luxuriante du Cygne à l’impact inusable, le passage du héros cristallisant un rêve impossible auquel chacun des Brabançons a besoin de croire. Cette vision continue d'interroger l'œuvre et le public, tout en sondant le regard que nous pouvons porter sur notre temps et son histoire.
BB