Chroniques

par bertrand bolognesi

London Philharmonic Orchestra
Dvořák et Tchaïkovski par Kurt Masur

Septembre musical de Montreux / Auditorium Stravinsky
- 8 septembre 2005
Kurt Masur joue Dvořák et Tchaïkovski au Septembre musical de Montreux
© richard haughton

Profitant judicieusement de l'identité acoustique de l'Auditorium Stravinsky, Kurt Masur amorce ce soir les premiers pas de l'Adagio initial de la Symphonie en mi mineur Op.95 n°9 de Dvořák dans une sonorité méticuleusement construite et savamment dosée. Chaque motif du mouvement se définit avec évidence dans une lecture précise et toujours soigneusement équilibrée. Le rapport entre les pupitres du London Philharmonic Orchestra paraît idéal, édifiant un Allegro molto tonique et lumineux. Saluons l'efficacité des relais timbriques remarquée dans le Largo, le maintient étonnant d'une couleur étale que rien ne vient inutilement perturber. Le chef invite chaque musicien à accompagner jusqu'au bout ses interventions et par là réalise un fascinant entrelacs qui peu à peu réinvente la trame. Plus rien d'une idée de masse ou même de nuance : il s'agit plutôt d'une conception purement polyphonique qui fait redécouvrir l'écriture de Dvořák comme peu d’autres.

Évitant toute surenchère, l'exécution du Scherzo se cisèle dans la pensée musicale elle-même, épurée de toute tradition redondante, de même que l'Allegro con fuoco final se s'encombre guère d'une dramatisation surabondante, prenant fort rarement appui sur les cordes graves ou la percussion, ce qui laisse s'exprimer la partition avec souplesse et élégance, les vents éclairant plus aisément tout l'orchestre. Masur laisse s'envoler la conclusion de l'œuvre sans l'appesantir, tout en affirmant une certaine densité, fil conducteur de l’interprétation entière. Peu spectaculaire et fondamentalement musicale, son approche révèle les demi-teintes et chaque relief de cette musique qui trop souvent subit les assauts d'un « pompiérisme » malvenu. Sobriété, exactitude, sensibilité et discernement caractérisent une Symphonie du Nouveau Monde d'une grande tenue.

À l'aube d'un vaste cycle Tchaïkovski qu'il donnera à la tête de l'ONF dès le 10 novembre, Kurt Masur conduit ici la Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 du Russe. Dès les premières mesures, sa vision affirme une noirceur de ton sans appel, un sens tranchant du tragique et une gravité de laquelle même les soubresauts dansés ne sauront distraire l’écoute. Toutefois, la dynamique a tendance à s'alourdir dès l'Andantino, sans exclure par ailleurs le souci du détail. Le début du Scherzo bénéficie d'une réalisation exceptionnelle ; les pizzicati s'y distinguent par une perfection rarement rencontrée – on le dit de chœurs particulièrement égalisés : « comme d'une seule voix ». Cela n'empêche cependant pas le final de s'emporter jusqu'à l'incohérence, forçant le trait. Bien que traversée de moments précieux, la lecture de cette Quatrième demeure en deçà de la première partie de la soirée.

BB