Chroniques

par bertrand bolognesi

London Philharmonic Orchestra and Choir
Kurt Weill | Die Dreigroschenoper (version concert)

Théâtre Champs-Élysées, Paris
- 28 février 2013
Vladimir Jurowski joue Die Dreigroschenoper de Kurt Weill à Paris
© chris christodoulou

Il n’est pas si fréquent que Vladimir Jurowski s’aventure en dehors des grandes fresques orchestrales ou des ouvrages lyriques des maîtres russes et germains. À la tête de son London Philharmonic Orchestra en petite formation, il s’attelle cette fois à Die Dreigroschenoper (L’opéra de quat’sous) concocté en 1928 par Bertolt Brecht et Kurt Weill d’après The Beggar’s Opera (L’opéra des gueux) de Johann Pepusch et John Gay. D’emblée, la qualité de la prestation instrumentale, extrêmement « léchée », inscrit l’exécution dans une douce ironie, un rien d’insolence british qui relève sans en avoir l’air le sel du texte et des situations dramatiques.

Encore n’est-ce pas vraiment une « version de concert » à laquelle nous assistons ce soir : Ted Huffman a conçu une mise en espace minimaliste et ingénieuse, sous la lumière avisée de Malcolm Rippeth. En narrateur, le comédien berlinois Max Hopp ponctue avantageusement d’une omniprésence épicée une sorte de digest de la pièce dont les artistes parcourent les airs incontournables. Le climat est détendu, la lumière exquisément cuite, et même Jurowski, si sérieux, se prête au jeu non sans conscience de ce que sa tenue toujours un peu guindée ajoute à ses interventions théâtrales (toute proportion gardée). Encore certains personnages arborent-ils une mise évocatrice, la plus évidente étant celle de plumes noires « sur-balconnée » de Jenny la putain.

Le plateau vocal s’affiche affiche un lustre rare, avec trois grands noms du monde lyrique. Ce vieux sournois de Peachum est incarné par John Tomlinson dont la relative fatigue sert parfaitement le contexte. On retrouve Felicity Palmer qui compose une Mrs Peachum mollement désabusée, drôle d’inexpressivité abrutie. L’élégance affectée du surineur Mackie, Mark Padmore la campe avec une discrétion trouble, usant de sa pratique du Lied pour délicatement enfiévrer certaines enjolivures séductrices, mais encore dans la ballade précédent la… non-mort du héros de papier !

Les autres voix ne sont pas en reste. Gabriela Iştoc livre une Lucy savoureusement petite-bourgeoise, d’un timbre en parfaite adéquation avec la mordante politesse de l’orchestre. Allison Bell prête une couleur renflée à sa Polly et le baryton Nicolas Folwell pose un Tiger Brown irréprochable. Avec ses raucités troubles et sa dégaine déjantée, Meow Meow, diva d’une autre scène, fait sur celle-ci figure de curiosité. Elle s’empare du chant de Jenny plutôt que du rôle lui-même, ce qui, dans ce cadre-là, fonctionne plutôt bien.

BB