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Chroniques
longue nuit du quatuor à cordes
Asasello, Brooklyn Rider, Castalian, Diotima et Zemlinsky
Samedi chargé et fécond, à la Streichquartettfest d’Heidelberg, pour cette dernière journée complète du festival, couronnée par une Longue nuit du quatuor à cordes (Lange Nacht des Streichquartetts), à 20h. Dès le matin, on y jouait Mozart et Philip Glass, Haydn à l’heure du déjeuner, Ravel et Webern en début d’après-midi, au goûter Mozart encore ; deux ateliers articulaient ces rendez-vous, l’un avec Oliver Wille et le Quatuor Castalian autour de l’opus 77 d’Haydn, le suivant mozartien, avec le Quatuor Asasello et Valentin Erben, autrefois violoncelliste du Quatuor Alban Berg. Le grand concert du soir ne clôt cependant pas l’événement : il s’achèvera demain, à 11h, en compagnie de Janáček, Debussy et Schumann.
À l’affiche, le Quatuor en ut majeur n°9 Op.59 n°3 de Ludwig van Beethoven « und Überraschungsprogramm » – un programme-surprise, donc, qui réunit toutes les formations invitées par l’édition 2018. Autre circonstance inattendue, la configuration de la salle a changé. Fini, l’alignement de chaises en rangs face à la scène : dans un climat des plus conviviaux, un parterre d’une bonne quarantaine de tables (regroupant chacune six à sept auditeurs) accueille le public qui s’y installe avec quelques provisions de bouche, le vin colorant allègrement les verres.
Absent ce jour, alors qu’il était le pilier du vendredi [lire notre chronique de la veille au soir et celle dédiée à Miroslav Srnka], il revient à Diotima d’ouvrir la fête avec le Quatuor Op.56 n°2 de Karol Szymanowski (1927), conçu à Paris puis créé à Varsovie. Ainsi peut-on parler d’un prélude sérieux, le Moderato arrivant des confins du silence pour laisser s’élever le chant du violoncelle, repris plus tard par un premier violon bouleversant. Après cette mélodie méditative, le Vivace scherzando se rythme de bartókienne manière, mariant à l’influence folklorique une couleur française que domine une confondante tonicité. La gracieuse élégie du second violon porte le mélancolique Lento, précis et engagé, non point dans le drame mais dans l’introspection pudique. Dans le soin accordé aux figures intermédiaires le motif répété en suspension litanique gagne son relief.
Les violonistes Johnny Gandelsman et Colin Jacobsen, l’altiste Nicholas Cords et le violoncelliste Michael Nicolas constituent le Brooklyn Rider Quartet, remarqué cet après-midi pour son interprétation tour à tour élégante, fantasque et sensible du Quatuor en fa majeur Op.35 deMaurice Ravel (1903). On se rappelle la couleur chaleureuse du premier mouvement, plus fauve que d’accoutumé, l’inventive vivacité endiablée du suivant, le fort beau clair-obscur, un peu feutré, comme une légère buée sur la lampe, du Très lent, qui donnait le jour au lyrisme exacerbé, autour d’un violoncelle solide et généreux, enfin la virevolte enflammée (Vif et agité), traversée par une rage expressive, somptueusement chaloupée. Ce brio subtil n’est guère d’actualité pour la présente performance, jazz ethnique pauvret de Loveland, extrait d’Achille's Heel de Colin Jacobsen (2009), de même que BTT qui offre tout juste une récréation légère dans un contenu plus substantiel.
Le plat de résistance est le Neuvième de Beethoven, par le Quatuor Asasello (Rostislav Kozhevnikov, Barbara Streil, Justyna Śliwa et Teemu Myöhänen). Après l’énigmatique Introduzione, il attaque le premier mouvement dans une ciselure délicate que marque une relative instabilité du violoncelle. L’Andante quasi allegretto se porte nettement mieux, avec un équilibre bien maintenu. De même le Menuetto qui froufroute, pour ainsi dire. Le dernier épisode pourrait ravir l’écoute dans son bondissement, n’étaient les aléas du violoncelle. Comparable constat avait été fait vers 15h à l’issue de l’exécution du Quatuor Op.28 d’Anton von Webern(1938), jonchée d’approximations, malgré un louable travail de la dynamique.
Retrouvons le Quatuor Zemlinsky [lire nos chroniques du 14 décembre 2015 et du 10 juillet 2012]. Après Dvořák dont elle livrait hier soir un superbe Américain, la formation se penche sur un autre compositeur tchèque, Leoš Janáček. Plutôt que de donner l’un de ses deux quatuors, c’est à Mládí pour sextuor à vent (1924) qu’elle s’attelle, dans une transcription réalisée par Kryštof Mařatka il y a deux ans. Rarement Jeunesse (d’un musicien septuagénaire mais amoureux !) n’aura paru si fervente que sous ces archets. Du célèbre opéra La fiancée vendue de Bedřich Smetana (Prodaná nevěsta, 1866) [lire notre chronique du 19 octobre 2008], les quartettistes jouent la fort leste Danse des comédiens qui emporte un franc succès.
Enfin, Daniel Llewellyn Roberts prend la scène pour un show pétillant. Le second violon du Quatuor Castalian, applaudi plus tôt dans les Six bagatelles Op.9 de Webern (1913) et dans Mozart hier, invite ses homologues des différentes formations pour une démonstration économique et artistique bouffonne, 2nd Violinists Brexit, introduite par le postulat « 2025, in the future… ». Bientôt, tous les instrumentistes envahissent le plateau dans une parodie à la bonne humeur communicative. En conclusion d’une telle soirée, quoi de mieux que l’irrévérence bon enfant ?... Ainsi quitterons-nous sur une note farceuse la Streichquartettfest.
BB