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Chroniques
l'opérette viennoise par Jonas Kaufmann
Jochen Rieder dirige le Münchner Rundfunkorchester
Avec fièvre et ferveur, le Tout-Paris musical attendait le retour de Jonas Kaufmann. Le concert-événement affichait complet depuis plusieurs mois et, déçus de ne pouvoir contempler leur idole, les aficionados ont dû patienter, dès 14h le jour même, aux caisses du Théâtre des Champs-Élysées pour tenter l’ultime chance d’obtenir la place tant convoitée… Pourtant, le programme du « ténorissime » allemand (qui ne s'était pas produit à Paris depuis un an) n'est pas familier du public français, si ce n'est pour ceux, nombreux, qui ont acheté le disque paru cet automne. Déjà présent sur cette gravure Sony, le fringant Jochen Rieder ouvre la soirée avec la Valse extraite de Giuditta, menée tambour battant par le Münchner Rundfunkorchester.
Quand le ténor paraît superbe et séduisant dans un élégant costume sombre, chemise blanche et cravate noire, cheveux courts bouclés et goatee très stylé, déjà la salle fond sous son charme. Il prend la parole pour exposer les raisons de la présence incongrue d’un micro et de haut-parleurs sur scène. Dans un français impeccable, Kaufmann explique que la puissance requise pour l’accompagnement de son florilège de chansons, extraites d’opérettes viennoises et de films musicaux, mettrait sa voix à dure épreuve sans la présence de ces outils. L’orchestration originale serait du niveau de celle de Puccini. Compte tenu de ce que l’on vient d’entendre, il semble que le chef ne veuille pas l’épargner… Il rassure toutefois en indiquant que l’amplification était bien prévue à l’époque et que, pour ce concert, elle ne fonctionnerait pas en permanence. En fait, elle était bien omniprésente, sauf pour le premier air de Giuditta et l’air fameux de Das Land des Lächelns, tous deux de Franz Lehár, musicien très à l’honneur ce soir. Le résultat est cependant fort convaincant – à la différence des sonorisations de musicals souvent indigentes qu’on connut ailleurs –, d’autant que les ingénieurs du son ont déjà rôdé cette tournée à Munich (28 avril) et à Vienne (15 mai).
Reprenant les tubes de son disque, l’artiste puise donc dans ces trésors ici méconnus que sont ces mélodies d’amour viennoises, composées entre 1920 et 1940, souvent pour Berlin. En fait, il interprète de la même manière l’opérette viennoise et la musique des films musicaux allemands de l’époque, avec une voix très opératique, comme le faisaient ses prédécesseurs Elisabeth Schwarzkopf ou Fritz Wunderlich, pour ne citer qu’eux. C’est un peu dommage que Kaufmann et Rieder n’aient pas retenu la légèreté suave, l’esprit variétés qui régnait chez les Comedian Harmonists, ensemble fondé en 1927 et immortalisés par un film très émouvant au titre éponyme de Joseph Vilsmaier (1997). Depuis 1985, Max Raabe et son Palast Orchester font pourtant revivre cette ambiance si particulière. Mais les moyens vocaux de Kaufmann, qui a du mal à se fondre dans ce répertoire, sont aux antipodes de ceux de Raabe.
Ne boudons pas notre plaisir, ni celui d’une salle surchauffée, hurlant des bravos dignes de ceux saluant ces grands airs d’opéra de Wagner, Verdi ou Puccini où Kaufmann est irremplaçable [lire notre critique des CD Wesendonck Lieder et The Verdi album]. Surtout que le chanteur aime surprendre : ainsi, l’air du Comte de Gräfin Mariza de Kálmán, hommage vibrant à Vienne, laisse découvrir un beau timbre de baryton auquel nous n’étions pas habitués. Le dernier couplet de Paganini de Lehár est en anglais, tout comme celui de Das Land des Lächelns est en français. Il adore esquisser des pas de danse et « swingue » à sa façon pour Im Traum hast du mir alles erlaubt du Liebeskommando de Stolz. Son charisme devient plus intense au fil de la soirée. Et du coup, comment résister à un public aussi chaleureux et envoûté par sa prestation, qui l’acclame avec passion et le rappelle, debout ?
Généreux, Kaufmann offre six bis, dont quatre extraits de son CD qu’il n’avait pas encore chantés ce soir (Es muss was Wunderbares sein, Irgendwo auf der welt, Frag nicht warum ich gehe et Reich mir zum Abschied) et un encore orchestral où, décontracté, il dirige la marche de Frühjahrsparade de Stolz, déjà interprétée par les musiciens. La salle en délire ne veut plus le laisser partir : il rechante donc l’air d’Ottavio de Frasquita (Lehár) qui ouvrait ce récital. Le chanteur est visiblement très touché de cet accueil inattendu d’un public aux anges qui le couvre de fleurs et de cadeaux – offerte par une jeune fille, une pomme en dit long…
MS