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Chroniques
Lorin Maazel dirige le Philharmonia Orchestra
Symphonie en la mineur n°6 de Gustav Mahler
Les concerts Mahler proposés par le Philharmonia de Londres dirigé par Lorin Maazel au Théâtre des Champs-Élysées, la semaine dernière, étaient consacrés aux trois premières symphonies (les Cinquième, Sixième et Septième) que le compositeur autrichien a libérées de la voix et de tout contexte poétique, particulièrement du cycle populaire du Knaben Wunderhorn (Cor merveilleux de l’enfant) qui gouverne les quatre précédentes auxquelles il retira, le temps et l’expérience venus, toute allusion programmatique. Néanmoins, aucune de ces pages de la maturité n’est exempte d’arrière-plans personnels, Mahler ayant donné des indications sur ce point dans des entretiens avec sa femme Alma ou avec ses amis, tandis que des éléments symboliques parcourent de bout en bout la Sixième. Alma se souvenait d’ailleurs qu’aussitôt la symphonie achevée Mahler vint la chercher pour la lui jouer au piano, et qu’elle fut émue jusqu’au fond de l’âme par cette œuvre, la plus « évidemment personnelle » de toutes, celle « qui a jailli le plus directement de son cœur ». À l’issue de la création, à Essen le 27 mai 1906, Mahler avouera à sa femme avoir « presque mal » dirigé « parce qu'il avait honte de sa propre émotion et avait craint qu’elle ne le submerge pendant l’exécution ».
Malgré un retour à la structure en quatre mouvements qui la rattache à la tradition classique, surtout dans ses trois mouvements initiaux – le premier, au caractère de marche, étant de forme sonate, le second un scherzo avec trio et le troisième un andante (Mahler hésita longuement à placer le mouvement lent entre les deuxième et troisième positions), tandis que le long finale ponctué de trois violent coups de marteau (Mahler supprima le dernier lorsqu’il révisa sa partition) ne contient pas de stricte réexposition –, la Sixième est la plus novatrice de l’ensemble de la création mahlérienne. Cette déchirante partition, en laquelle Alban Berg voyait « la seule Sixième, malgré la Pastorale » (de Beethoven), ouvre sur le XXe siècle, avec ses mélodies de timbres, sa polyrythmie, ses couleurs singulièrement évocatrices, ses ruptures mélodiques, ses dislocations discursives, ses climats violemment déchirés.
C’est sur cette Symphonie en la mineur n° 6 « Tragique » (intitulé que Mahler se contenta d’évoquer à son disciple Bruno Walter mais qu’il se garda de faire imprimer sur la partition), composée en 1903-1904, que s’est ouverte la série du Philharmonia et de Maazel à Paris. L’interprétation offerte par la belle phalange britannique a été conforme au péché mignon du chef étatsunien, étirée (1h40 au lieu de 1h20), chargée de pathos creux, mais la diversité des plans de l’œuvre a été magistralement soulignée. Ainsi, le finale restera comme un grand moment. Maazel, qui, contrairement à sa version publiée chez Sony avec le Philharmonique de Vienne, a opté pour l’Andante avant le Scherzo, a su mettre en exergue l’extrême douleur contenue dans cette immense Allegro qui inspira Berg dans son Opus 6 et dans le dernier interlude de son Wozzeck, effroyable combat de la vie et de la mort. Maazel chante ici en poète panthéiste du son, de la matière et de la pensée. Il dirige d’un geste concis et précis, partition ouverte qu'il ne regarde guère tout en tournant toujours les pages au bon moment. Utilisant un instrumentarium conventionnel (trompettes à pistons et non pas à palettes, comme c’est de plus en plus le cas), tandis que le troisième coup de marteau a été remplacé par une ahurissante sonnerie de cinq paires de cymbales, le Philharmonia s’est avéré particulièrement somptueux.
BS