Recherche
Chroniques
Los sobrinos del capitán Grant | Les neveux du capitaine Grant
zarzuela de Manuel Fernández Caballero
Tandis qu’à Paris l’Opéra Comique s’émeut des frasques de Fra Diavolo, l’Opéra national de Lorraine éclate de rire avec Les neveux du capitaine Grant. Comme Fra Diavolo, c’est un opéra d’aventures – on a bien des opéras d’amour, des opéras politiques, satiriques ou exotiques, alors pourquoi pas des opéras d’aventures ? – et, tout comme l’ouvrage d’Auber, c’est un opéra-comique, ou du moins sa variante espagnole au joli nom de zarzuela.
Composée en 1877 par Manuel FernándezCaballero (1835-1906), cette zarzuela s’inspire des Enfants du capitaine Grant de Jules Verne dont elle reprend le canevas. Averti par un S.O.S. trouvé dans les entrailles d’un poisson, un petit groupe d’aventuriers un peu inconscients se met en tête d’aller sauver le capitaine Grant. Le message promet aux éventuels sauveteurs un trésor – proposition fort alléchante, certes, mais qui fait ignorer à nos apprentis explorateurs une difficulté essentielle : le message est incomplet ! On ne connaît du lieu de naufrage que la latitude… Nos amis s’embarquent donc pour un long tour du monde rempli de rebondissements.
Caballero prend toutefois ses libertés avec le texte original. Outre diverses hispanisations (des personnages et des lieux) et menus arrangements de ce type, les fameux enfants-neveux du capitaine deviennent des imposteurs, ce qui permet d’introduire dans l’histoire une intrigue amoureuse (avec airs de séduction à l’appui), le jeune couple écossais Glenarvan devient un père et sa fille (avec à la clef l’immanquable et savoureux trio amoureux – qui oppose deux amantes aux styles différents, l’une espagnole, l’autre britannique, tout un programme) et le professeur Paganel devient le professeur Mirabel, inénarrable préfiguration du professeur Tryphon Tournesol… Bref, avec un peu d’aide du metteur en scène Carlos Wagner qui y ajoute quelques astuces de son cru, Caballero fait du roman de Verne une véritable opérette, avec tous les ingrédients du genre, général d’opérette et cancans compris.
Quant à la musique de Caballero, scintillante et cliquetante, elle est digne des plus beaux succès du genre, à mi-chemin entre Offenbach et la valse viennoise. Si elle n’est pas des plus originales, elle est efficace et imagée – quelques espagnolades, rythmes de Habanera et danses endiablées viennent ajouter à la couleur locale – et comble plus qu’on ne saurait l’attendre. Elle n’est – hélas ! – pas servie avec l’énergie qu’elle mérite. Placé à la tête de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, pourtant très en forme cette saison, l’Espagnol Tito Muñoz manque singulièrement de brio et de poigne. Mou et sans charisme, il rompt souvent le rythme de la soirée et perd occasionnellement quelques chanteurs en chemin.
Carlos Wagner rattrape l’affaire et fait du spectacle un moment de franche rigolade. Sur scène, c’est un véritable feu d’artifice. Wagner s’en donne à cœur joie et explore l’humour sous toutes ses formes et de toutes les tailles – grossier, pacifiste (avec un bataillon de soldats fort peu belliqueux), poétique (avec une superbe scène subaquatique), burlesque, ironique, naïf, et même un peu vulgaire. La traduction française des textes parlés est savoureuse et truculente – digne, par certains jeux sur le langage, du grand Devos. Et c’est sans parler de la scénographie – le décor est planté sur un livre ouvert que les personnages traversent de part en part et dont on découvre les diverses trappes et chausse-trapes – et des costumes délirants qui en appellent autant à la parodie (de Carmen, par exemple) qu’à l’imagerie des dessins animés.
Pour couronner le tout, le plateau, exquis, se prête avec une joie communicatrice aux lubies déjantées du metteur en scène. Citons Blandine Folio Peres en danseuse espagnole, sensuelle, ingénue et amoureuse, Nicolas Rigas, amant transi et téméraire, Emiliano Suárez, scientifique excessivement distrait, ou encore Georgia Ellis-Filice, désopilante en jeune Anglaise coincée et mal fagotée. Une mention spéciale au baryton-basse José Luis Barreto, comédien d’une drôlerie incomparable et transformiste exceptionnel – il est successivement concierge travesti (tout droit sorti d’un film d’Almodóvar), capitaine de navire, guide patagon, colonel peu consciencieux, aubergiste couard, pêcheur de corail rusé, interprète maori polyglotte et, bien sûr, capitaine Grant.
On a rarement autant ri et d’aussi bon cœur à l’opéra ! On espère sincèrement que l’Opéra national de Lorraine poursuivra, dans un avenir proche, son exploration de cette veine d’opéra comique (dans le sens premier du terme).
JS