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Chroniques
Louise
opéra de Gustave Charpentier
« À nous deux, Paris ! » s'écriait Rastignac à la fin du Père Goriot. « Ô Paris » lui fait écho le père de Louise. Non pas, comme le jeune ambitieux, les bras tendus vers les promesses de la capitale, mais, vieil homme défait, le poing brandi contre cette ville maudite qui lui ravit sa fille. À dire vrai, si l'ouvrage de Gustave Charpentier doit se chercher un modèle littéraire, c'est davantage du côté de Zola qu'il le puise. On a souvent dit, après Paul Morand, que le plus célèbre opéra de l'élève de Massenet était du « Zola en musique ». Le petit peuple de Paris, grisettes, artistes, ouvriers, voilà décrite la vie des gens ordinaires, dans une capitale tentaculaire et corruptrice prête à broyer ceux qui se laissent aller à ses tentations. Vérisme à la française ou réalisme poétique ? Au fond, peu importe. L'essentiel est ailleurs, dans la force et la modernité de l'œuvre. Les temps ont changé, mais l'histoire de Louise, fille d'ouvriers dont la passion pour un artiste est contrariée par ses parents, garde son acuité dans les thèmes abordés : conflits de générations, place de la famille, réalisation de soi.
Créée en 1900 à l'Opéra-Comique, la même année que l'Exposition universelle, Louise n'est aujourd'hui passé à la postérité que grâce à l'air célèbre du troisième acte, Depuis le jour, qui est dans la mémoire de tous les « callassophiles ». L'œuvre a pourtant été jouée maintes fois, régulièrement et dans le monde entier, avant de se raréfier sur les scènes lyriques. L'an dernier, l'Opéra national de Paris l'a remettait à l'affiche avec succès, mais cette reprise estivale ne semble pas attirer les foules, à en juger par les nombreux sièges vides.
Force est de constater que si l’ouvrage a du charme, il n'est pas aussi poignant que La Bohème, son contemporain. On s'ennuie à l'écoute d'une partition que la direction banale de Patrick Davin ne parvient pas à faire décoller. Puissant mais terne et sans reliefs, l'Orchestre de l'Opéra national de Paris, semble jouer dans son coin sans se préoccuper des chanteurs.
Ils ne sont pourtant pas mauvais, loin de là.
Mireille Delunsch offre sa voix ronde au rôle de Louise et son partenaire, Gregory Kunde (ténor), est un Julien vaillant, même s'il manque de finesse psychologique. On aimerait que le couple s'harmonise dans la prononciation des r : l'Américain les roule, contrairement à la Française, ce qui accentue d'autant plus la disparité des dictions. Jane Henschel (Mère) est souvent couverte par la fosse ; rendue instable par un grand vibrato, sa voix s'améliore au fil de la représentation. Il faut au Père une voix et une présence à la mesure de cet homme dévorant ; c'est le cas avec le solide Alain Vernhes qui, malgré son implacabilité envers sa fille, s’avère émouvant.
Le meilleur réside dans la mise en scène.
En véritable homme de théâtre, André Engel sait non seulement diriger ses acteurs avec soin, mais tirer parti de toutes les potentialités scéniques de l'opéra. Avec l'aide de son fidèle Nicky Rieti, il transpose l'action dans les années trente et imagine des décors différents pour chaque tableau. Des escaliers de service d'un immeuble populaire à la salle des fêtes parée de cocardes tricolores en passant par un atelier de couture animé, et surtout, une reproduction très réaliste d'une station de métro parisien, Engel déploie une inventivité réjouissante. Certaines de ses trouvailles démontrent un sens rare du détail, comme ce chiffonnier devenu aveugle qui porte des ballons, ou encore deux gamins qui passent en courant devant la bouche de métro. Avouons un faible pour le premier tableau de l’Acte III : les toits de Paris, la robe rouge de Louise, le ciel teinté de rose… Un moment suspendu, empreint de grâce poétique, dans lequel les deux amoureux, main dans la main, chantent ce qui fait la force de l'ouvrage : un hymne à la liberté.
IS