Chroniques

par françois cavaillès

Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra de Limoges
- 3 novembre 2015
à Limoges, Venera Gimadieva incarne Lucia di Lammermoor, avec Allemandi en fosse
© thierry laporte

Si la vie est l’art des rencontres, tout amateur d’opéra se souvient de la sienne avec Lucia di Lammermoor. En appréciant sur scène pour la première fois l’œuvre de Donizetti (sans doute sa plus connue, née au Teatro San Carlo de Naples en 1835 et bien souvent donnée depuis à travers le monde), il y a fort à parier que la découverte du personnage éponyme de cet opéra marque à tout jamais le spectateur. Ce lien mystérieux, peut-être Flaubert l’a-t-il le mieux exprimé à travers le regard furtif et songeur de Madame Bovary sur une représentation de Lucie de Lammermoor à l’intérieur du fameux roman. Emma n’est pas fascinée par Lucia en particulier, mais les deux êtres de fiction partagent la souffrance du quotidien et le rêve de convoler dans le bonheur.

Classique dans ses costumes, taillés par Thibault Welchlin, audacieuse dans sa scénographie se concentrant sur un large et austère bloc tournant, signée Bruno de Lavenère, la nouvelle coproduction à l'affiche cet automne, entre Rouen, Limoges et Reims, s’inscrit très bien dans le sens de cette perte, et ce, évidemment, dans la scène de la folie qui atteint le tragique attendu. Le soprano Venera Gimadieva, révélée à Limoges dans La Traviata en 2012, y donne une interprétation limpide (dès la cavatine du premier acte), solide – suivant la mise en scène virile, de sang et de lames, de Jean-Romain Vesperini – et personnelle qui justifie pleinement sa renommée de belle étoile montante.

Pour l’ensemble de la distribution, mise en valeur notamment lors du superbe sextuor de la fin du deuxième acte, fort réussi, les bravos et les applaudissements paraissent amplement mérités, depuis l’entrée des vaillants Chœurs de l’Opéra de Limoges et de l’Opéra de Rouen Normandie jusqu’aux ultimes soupirs de Ramè Lahaj (Edgardo), ténor formidable dans ses accents de colère au point de peut-être surclasser Lucia dans le chant de l’amour fou. Autour du personnage principal, le mezzo-soprano Majdouline Zerari (Alisa) est remarquablement émouvant et la basse Deyan Vatchkov (Raimundo) savamment autoritaire et distincte. Leur apport paraît essentiel et gagnerait à être souligné par la mise en scène pour humaniser davantage Lucia et ne pas l’élever de manière automatique au rang d’héroïne.

Aucun doute, en revanche, sur le rayonnement du baryton Boris Pinkhasovich (Enrico), à la voix sublime, claire et puissante, qui dans le rôle d’une force maléfique, sanguinaire et violente jusqu’au bord de l’inceste, semble faire l’unanimité. Mais le titre de grande vedette reviendra à l’Orchestre de Limoges et du Limousin pour avoir su, avec souplesse, rendre la musique de Donizetti dans toute sa nervosité, sa finesse dramatique et son romantisme gothique – la matière pour créer cet être inoubliable qu’est le rôle-titre. Habitué au répertoire italien du XIXe siècle, le chef Antonello Allemandi semble acquérir une grande connaissance de l’œuvre et rappelle ici, toutes proportions gardées, le génie d’un Karajan.

FC