Chroniques

par françois cavaillès

Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 17 novembre 2015
nouvelle Lucia di Lammermoor à Liège, signée Stefano Mazzonis di Pralafera
© lorraine wauters | opéra royal de wallonie

Lucia di Lammermoor semble bien la reine de l'automne. Après une nouvelle production bien réussie du côté de Limoges [lire notre chronique du 3 novembre 2015], c'est à Liège que le drame de Donizetti a encore mué avec succès et a même fait, au soir de la première, un véritable tabac.

Le mérite en paraît également partagé par la fosse et la scène, bel et bien unies dans l'art de représenter une pluralité de tableaux intéressants liés par une forte tension dramatique. Le rideau se lève sur l'Écosse médiévale, terre de forêts, de brumes et de donjons, remuée par des chasseurs munis de chiens et d'arbalètes. Les trois accords stridents du prélude résonnent comme un avertissement, puis le chœur scande la battue au rythme de puissantes trompettes. Une tour monumentale gagne l'avant-scène et pivote pour révéler son intérieur, c'est-à-dire un salon au rez-de-chaussée et une chambre à l'étage. Le soin des décors, signés Jean-Guy Lecat, est alors visible plus en détails, mobilier, tapisseries et soieries bien disposés.

Au fur et à mesure qu'affluent les hommes en larges costumes impressionnants créés par Fernand Ruiz, empruntant au tartan comme à la tenue de samouraï, et tandis que leur colère gronde, notamment dans les chœurs plus martelés, le ton viril est donné, annonciateur de solides bousculades entre les protagonistes. Dans ce tableau tout masculin, la violence réaliste prime sur l'horreur, réservée à la fiancée maudite.

Par une habile transition de silence et d'obscurité, la harpe introduit la claire fontaine, belle illumination signée Franco Marri, en plein milieu du domaine de Ravenswood. Dirigé par Jesús López Cobos, l'Orchestre de l'Opéra royal de Wallonie rejoint la harpe et désigne avec suavité l'entrée au tableau féminin. Chantant la légende de la fontaine à sa suivante Alisa, le soprano Annick Massis (Lucia) fait déjà montre d'un jeu de scène de qualité, amorçant en beauté la folie par ses vocalises et sa harangue fort créatives. La vive réponse du mezzo-soprano Alexise Yerna (Alisa) est intéressante, comme un complément naturel et presque une surenchère dramatique. Entre elles s’effectue une forme de contagion nerveuse avant de céder au jeu enfantin, brève accalmie qui précède les premières fissures de l’héroïne.

Suivre l'évolution du personnage est l'un des grands plaisirs de l'opéra, à savourer autant en théâtre qu'en musique. La jeune femme amoureuse ravie, au long manteau bleu sur une robe de soie, passe du conte de fée en duo avec l’amant Edgardo, aux chocs frontaux avec son frère Enrico tout d'abord, puis avec le chapelain Raimondo. Tant d'épreuves la poussent au pathétique, mais la partition de Donizetti est traversée de telles fulgurances et de tels bonheurs qu'elle transporte ce cirque plutôt sadique en un éden de plaisirs symphoniques. Sur les pas de Lucia habillée en Chaperon rouge, l'Acte II est l'expression de cette musique dramatique par excellence, de l'air de fête jusqu'au sextuor final. De trahison en malédiction, l'orchestre wallon donne toutes ses lettres de noblesse aux compositions du Bergamasque et le rideau tombe sur une salle en fusion.

Au dernier acte, l'aventure musicale se poursuit, jubilatoire, martiale, en belle gambade. Le sang coule ; aux chanteurs de se distinguer. Ainsi la basse Roberto Tagliavini campe un chapelain impressionnant dans ses énormes chasuble et fourrure. Doté d'un trésor de voix et d'un visage particulièrement expressif, il semble tout à fait maîtriser le rôle, passant facilement de la force d'un Commandeur devant Lucia à la délicatesse lors de l'annonce du meurtre. La réaction du Chœur de l'Opéra royal de Wallonie se fait alors superbe, d'une fluidité remarquable. S'ensuit la scène de la folie, transcendante, où Annick Massis et le Glaßharmonica conquièrent littéralement le public. Presque plus psychosensorielle que théâtrale, la performance du soprano comble plus que les attentes (si grandes, ne serait qu'en ce qui concerne le chant) et parvient à la simple expression du tragique et de la démence.

Enfin, dans l'air Tombe degli avi miei, le ténor Celso Albelo souligne jusqu'au dernier souffle l'héroïsme d'Edgardo, mourant d'amour, combattant la cruauté du sort. Face à lui, le baryton Ivan Thirion (Enrico) rivalise de fougue et respire la convoitise. Dans Lucia di Lammermoor, le mal finit par triompher, très saine coordination du metteur en scène Stefano Mazzonis di Pralafera, également directeur général et artistique de l’institution liégeoise.

FC