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Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti
Apparue en fond de scène devant une sublime cascade numérique, seule dans ce décor unique plutôt déserté, cette Lucia nancéenne est à attraper par la main, fragile et bouleversée, à contempler comme les superbes vidéos surnaturelles signées Hélène Guétary, et à suivre en douceur et en beauté jusqu'aux racines classiques du drame de Donizetti (1835), voire jusqu'à la source romantique de Walter Scott (auteur du roman inspirateur, The Bride of Lammermoor, publié en 1819).
L'héroïne emblématique (par exemple en tête d'affiche de la toute récente exposition Visages de l'effroi à Paris, puis à La Roche-sur-Yon, d'après un tableau d'Émile Signol de 1850) se distingue ainsi de ses toutes dernières reproductions à l'opéra, concentrées sur les violences physiques et sur l'image d'une femme forte, sanglante vengeresse.
À son entrée en talons hauts dans une robe d'été rose-bonbon, éclairée en poursuite au premier air tout comme, finalement, lors de l’accès de folie postnuptial – interprété sur une petite scène de concours, au centre de somptueuses ondes lumineuses rouges rappelant le terrible climax du film Carrie (Brian de Palma, 1976) –, elle incarne d'abord l'innocence des années folles, ou bien prospères, en Amérique, toile de fond tendue par la mise en scène de Jean-Louis Martinelli [lire nos chroniques du 22 février 2008 et du 30 juin 2007]. Qu'il s'agisse d'une prise de rôle pour le jeune soprano Erin Morley [lire notre critique du DVD Der Ring des Nibelungen], originaire des montagnes de l'Utah, renforce même par le vécu la valeur de ces choix artistiques originaux.
Mais c'est vraiment avec l'Acte II que survient la réaction chimique, explosive et créatrice, c'est-à-dire dans le bureau du vil Enrico – l'excellent baryton Jean-François Lapointe, catalyseur à la voix chaude et profonde. En sœur poussée dans ses recoins et armée de reproches, Erin Morley s'enhardit dans cette page musicale merveilleuse, respectant la mélodie porteuse des espoirs de la pauvre amoureuse et signant de jolies vocalises. Les menaces d'Enrico, d'abord impassible à sa table de travail, sont enflées avec bonheur par l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, dirigé par Corrado Rovaris [lire notre chronique du 28 février 2010 et nos critiques des DVD La Salustia et Il prigonier’ superbo], qui trouve ici définitivement ses marques, à l'instar du Chœur de l'Opéra national de Lorraine au tableau suivant, fondant l'harmonie onirique propice au déchirant sextuor.
La chaleur estivale bouscule le III, enflammé par le charmant ténor Rame Lahaj (Edgardo), aux bons accents napolitains et à l'impeccable ligne de chant dans l'ultime Tombe degli avi miei, artiste remarqué en début de saison dans le même rôle [lire notre chronique du 3 novembre 2015]. En revanche, son suicide a tout du geste malheureux, pathétique, au contraire de l'Arturo de Christophe Berry, très bon acteur et ténor impressionnant, tout de suite dans le vif du sujet pour bien tenir un personnage certes beaucoup plus bref. Ce soir, la mort résonne peut-être mieux en approchant, à pas feutrés, au doux son du Glaßharmonica de Sascha Reckert, l'éblouissant invité de cette production très réussie.
FC