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Chroniques
Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti
Il faut d'abord mettre la superbe direction musicale de Francesco Lanzillotta au crédit de cette représentation. Sous la baguette du chef, entendu à Montpellier la saison dernière dans la double affiche La notte di un nevrastenico et Gianni Schicchi (Rota et Puccini), ainsi qu’à Pesaro dans Torvaldo e Dorliska de Rossini [lire notre chronique du 15 août 2017], l'Orchestre de l'Opéra de Toulon paraît se dépasser. Le style est très dynamique, présente un beau relief ; quelques attaques sont particulièrement mordantes aux cordes et les instrumentistes répondent avec virtuosité. Ceci est vrai, entre autres, pour les deux musiciens les plus exposés de la soirée : la harpiste, sur scène pour accompagner la cantilène d'entrée de Lucia, et plus tard le flûtiste qui prend place au pupitre du chef pour donner la réplique à l'héroïne pendant la scène de folie. Le Chœur maison également, préparé par Christophe Bernollin, se montre généreux, bien articulé, et fait preuve de cohésion, mis à part sans doute un petit moment de relâchement dans la scène finale d'Edgardo où les pupitres masculins sonnent avec moins d'homogénéité.
Le soprano Serenad Uyar – qu'on a connu de nombreuses années sous le prénom de Burçu [lire nos chroniques des 11 août et 12 février 2016, ainsi que du 18 décembre 2015] – connaît sa Lucia dans tous ses recoins, c'est l'un des deux rôles qu'elle a le plus chantés dans sa carrière. Quand on sait que celui qu'elle a le plus fréquenté jusqu'à présent est la Reine de la nuit, on comprend d'autant mieux que ses suraigus soient aussi brillants et assurés, ses conclusions de cabalette se concluant invariablement par des contre-uts tenus à pleine voix. La chanteuse garde en permanence sa musicalité, même allongée sur le dos pendant l’air d’entrée Regnava nel silenzio, et sa souplesse vocale est certaine. La vélocité est toutefois prise légèrement en défaut sur les cadences les plus rapides, et les notes les plus graves sont moins facilement exprimées. L'actrice est aussi fort engagée, couverte d'hémoglobine pendant la scène de folie, posant sa tête sur le cadavre d'Arturo, lui prenant la main, le bras.
On ne se montre pas aussi enthousiaste à propos du ténor Roberto De Biasio qui compose un Edgardo raide comme un piquet, peut-être sujet au trac, qui se racle la gorge régulièrement. Quelques aigus sont plutôt glorieux, mais de manière générale l'émission est poussive, accompagnée d'une grande inertie sur les attaques, dans une intonation qui se perd un peu par moments, l'ensemble pouvant évoquer de vieilles gloires comme un Carlo Bergonzi ou un Neil Schicoff, mais alors en fin de fin de carrière. Le baryton David Bižić (Enrico) dévoile une très noble couleur de timbre, un grain sombre qui convient au personnage de méchant, sa limite restant le registre aigu où quelques notes montrent d'inquiétants signes de fragilité [lire notre chronique de son récent Onéguine]. Jean Teitgen (Raimondo) est une vraie basse profonde, au grave impérial et autoritaire, mais il n'a visiblement pas une grande fréquentation du rôle, en butte à un vrai temps faible... en perte du rythme pendant deux ou trois mesures. Mark Van Arsdale (Arturo) délivre les suraigus attendus lors de sa présentation comme époux imposé à Lucia [lire nos chroniques du 28 janvier 2018, 13 mars 2017, du 29 avril 2016 et du 8 décembre 2013], le troisième ténor Pierre-Emmanuel Roubet et Julie Pasturaud assurant leurs maigres interventions en Normanno et Alisa.
La production invitée est celle d’Henning Brockhaus, créée en 1993 pour le vaste Sferisterio du Macerata Opera Festival, adaptée depuis pour des scènes aux dimensions plus modestes, comme plusieurs théâtres du nord de l'Italie (Modena, Piacenza, Reggio Emilia, Parma, Savona) où elle a tourné ces trois dernières saisons. Le spectacle bénéficie de la scénographie du légendaire Josef Svoboda, disparu en 2002 avec pas loin de sept cents réalisations à son actif, les décors ayant été réadaptés par Benito Leonori. Un rideau couvre toute l'ouverture du cadre de scène, d'abord d'un aspect de tissu molletonné, puis support à des projections vidéo : un rivage avec de petites vaguelettes sur l'eau, des marguerites, des bougies ou des surfaces plus minérales, d'aspect rocheux teinté de rouge pendant la folie de Lucia, etc. Le rideau est soulevé en un de ses points pour permettre le passage des protagonistes et, suivant les éclairages, il devient transparent et dévoile un escalier sur toute la largeur. Les choristes et solistes y sont le plus souvent plantés, le jeu des acteurs étant réduit à un travail particulièrement statique. Et les efforts d'animation du metteur en scène ne convainquent guère : Lucia et Alisa qui font avec insouciance une partie de badminton en attendant l'arrivée d'Edgardo, des hommes en caleçon et des danseuses qui se trémoussent dans une ambiance de cabaret pendant la fête de mariage, ou encore Normanno qui frotte un habit de Lucia sur son sexe (Regietheater, quand tu nous tiens !). Les casques de soldat paraissent dater de la Première Guerre mondiale, tandis que les boucliers, qui ressemblent à ceux des Romains dessinés dans les aventures d'Astérix, sont recyclés en pierres tombales sur l'escalier dans la scène finale de Ravenswood. Le public réserve un accueil chaleureux à l'ensemble, plus chaleureux encore pour le chef et Lucia.
IF