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Lucio Papirio dittatore | Lucio Papirio, dictateur
opéra d’Antonio Caldara
Après les petits parcours empruntés en voiture par votre serviteur entre Longborough et Garsington, Garsington et Grange Park puis Grange Park et Glyndebourne, la promenade lyrique anglaise passe du festival situé le plus au sud à celui des plus nordiques. Avec plaisir, retrouvons, à près de quatre cents kilomètres du Sussex, les jolis paysages du Derbyshire, avec les collines, les rochers et la lande de Peak District. Ce quatrième séjour au Buxton Festival [lire nos chroniques de Der goldene Drache, Y tŵr, Macbet, Albert Herring, Lucio Silla, Alzira et Idomeneo] place l’arrivée sous le signe de la découverte, avec un ouvrage lyrique tombé dans l’oubli depuis trois siècles exactement.
Le 4 novembre 1719, la Kaiserhof de Vienne affichait la première de Lucio Papirio dittatore, opéra seria en trois actes du Vénitien Antonio Caldara (1670-1736), commandé pour célébrer la Saint-Charles, c’est-à-dire honorer le Habsbourg sixième du nom, archiduc d’Autriche, roi de Naples et souverain du Saint-Empire Germanique, qui assista à la représentation. Installé depuis trois ans à la cour viennoise, le compositeur signait alors son trente-quatrième titre destiné au théâtre lyrique. Pour l’événement, Apostolo Zeno, son compatriote, écrivit un livret nouveau à partir de celui que le Toscan Antonio Salvi avait fourni à Francesco Gasparini pour le tout premier Lucio Papirio dittatore (Rome, 1714). Ce texte servit aussi Predieri et Orlandini, entre autres. La version de Zeno, qui creuse plus la psychologie du rebelle Quinto Fabio, fut mise en musique plus de vingt-cinq fois après Caldara, ses plus illustres prédateurs étant Giacomelli, Händel et Hasse, jusqu’à la fin du siècle avec Luigi Cherubini (Rome, 1783) et Niccolò Zingarelli (Livourne, 1794).
Pour fêter son quarantième anniversaire, le Buxton Festival a programmé quatre productions, dont cette résurrection bien accueillie. L’intrigue se déroule à Rome, au IVe siècle avant Jésus-Christ. Furieux de la rébellion de son gendre Quinto Fabio, chef de ses escadres ayant, par un excès de zèle, prit l’initiative malheureuse d’une attaque dont il est sorti vainqueur, le dictateur Lucio Papirio doit pourtant lutter contre sa condamnation à mort par le Sénat. Au terme de plusieurs complications et coups de théâtre, le coupable, valeureux, sera gracié. Au passage, le public de l’époque comparait les trépignements inutiles de Lucio Papirio avec le pouvoir de Charles VI, bien servi par l’œuvre, notamment par l’hymne final. Musicalement, on retrouve la double pratique de l’oratorio religieux et du madrigal, sacré ou profane, dans une forme structurée avec plus de rigueur qu’en mettait alors les contemporains italiens de Caldara, si bien qu’on oublie se trouver devant un opéra baroque conventionnel.
La scénographie de Kitty Callister évoque par petites touches l’antiquité romaine. Elle rend hommage à Christo – le fameux duo d’artistes formé par Jeanne-Claude Denat de Guillebon (1935-2009) et Christo Vladimiroff Javacheff (1935) depuis la fin des années cinquante – avec une colonne, des arches, des sculptures et un trône emballés à leur manière. La stylisation des costumes, d’une facture assez classique, ne renvoie pas à une période précise de l’Histoire. La mise en scène de Mark Burns s’attache essentiellement au conflit entre le libre arbitre de Quinto Fabio et le contrôle exercé par le chef de l’État. La conception-lumière de Zoe Spurr raconte elle aussi la tragédie, en stigmatisant le fautif sous ses feux. Malgré un espace scénique réduit par la présente de l’orchestre sur un coin de scène, le soin apporté à l’expressivité de chaque personnage fait gagner cette production élégante.
Comme la Tisbe de Brescianello, vue l’an dernier, également mise en scène par Mark Burns [lire notre chronique du 12 juillet 2018], Lucio Papirio dittatore est donné par l’ensemble La Serenissima, dirigé de l’archet par le violoniste Adrian Chandler. Il est véritablement le maître d’œuvre de cette résurrection, ayant dû au préalable reconstruire la partition – un travail de longue haleine qui prouve d’une passion admirable. Dans ce Caldara, la virtuosité instrumentale est au rendez-vous, une exigence bien rendue par les musiciens. Les Buxton Festival Chorus réalise de beaux ensembles.
Ténor vaillant, Robert Murray chante le rôle-titre avec beaucoup de sûreté, laissant au jeu les signes de la faiblesse du personnage [lire nos chroniques de The Rape of Lucretia et The pirates of Penzance]. L’impétueux Quinto Fabio bénéficie de la puissance étonnante d’Owen Willetts, contre-ténor doté d’une technique impressionnante. La couleur de la voix et la capacité de nuancer brossent un rôle très intéressant. La solidité du médium contraste avec la facilité de l’ornementation [lire notre chronique d’Arminio]. Curieusement, Caldara a confié le rôle de Marco Fabio, le père du guerrier, à une second contre-ténor, ce qui ne favorise pas l’impression d’autorité. William Towers montre une ligne vocale toujours gracieuse, mais ne possède guère le génie de la scène. Le raffinement du chant de Rowan Pierce fait de la fille de Lucio, Papiria, une présence captivante. La pureté du timbre et la franchise des attaques restent en tête ! Rutillia est la sœur du condamnée. Elizabeth Karani lui prête un soprano habile et un grand sens de la scène. Son amoureux s’appelle Cominio et c’est un rôle travesti, remarquablement campé par le jeune soprano Eleanor Dennis, habillé en soldat. La générosité du phrasé est un bel atout. Le détenteur de la clé de l’énigme politique est le patricien Servilio, honorablement tenu par le baryton clair de Gareth Brynmor John.
La plupart des opéras de Caldara dorment dans les bibliothèques. Qu’attendons-nous ? Le succès de la représentation prouve de l’intérêt du public pour de telles redécouvertes.
HK