Chroniques

par hervé könig

Lucio Silla
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Buxton Festival / Opera House
- 20 juillet 2017
Lucio Silla, opéra d'un Mozart de dix-sept ans, au Buxton Festival 2017
© robert workman

En Albion pour un dernier soir, c’est avec l’œuvre d’un Mozart encore tout jeune que se termine le séjour au Buxton Festival. Après y avoir découvert Y tŵr de Guto Puw, apprécié Macbeth de Verdi dans sa version originale et ri grâce à l’opera buffa de Britten, Albert Herring [lire nos chroniques des 17, 18 et 19 juillet 2017], voici donc Lucio Silla, écrit pour Milan où il fut créé en décembre 1772, lorsque Wolfgang Amadeus avait dix-sept ans. Cette œuvre s’inscrit donc dans la lignée de Mitridate, re di Ponto, dont la première avait eu lieu dans le même théâtre, bien servi par les équipes de Covent Garden il y peu [lire notre chronique du 29 juin 2017]. La partition est étonnante parce qu’elle semble provenir d’une main adulte. Seule la différence stylistique entre la facture mozartienne à venir (à partir d’Idomeneo, en fait) montre que le compositeur, bien que maîtrisant parfaitement la manière de ses ainés, n’a pas encore fleuri. Il faut donc prendre l’ouvrage pour ce qu’il est : un brillant exemple d’opera seria rococo, avec des arie très ornées, souvent vertigineuses.

Sur ce point, félicitons le festival d’avoir réuni un jeune cast tout à fait talentueux. Les deux rôles travestis sont particulièrement bien servis. Madeleine Pierard s’investit passionnément dans la partie de Cecilio, par la voix comme par le corps qu’elle parvient à rendre masculin. Le lyrisme de sa vocalité est grandiose et fait forte impression. Le soprano pragois Karolína Plicková est simplement époustouflant en Cinna ! La santé de l’instrument, la profondeur de l’incarnation et la sûreté de la technique font merveille.

Au rôle-titre, Joshua Ellicott prête un évident tenore di bravura propre à montrer les deux facettes du dictateur romain : d’abord tyrannique et horrible, soudain bienveillant et apaisé. La Giunia de Rebecca Bottone, entendue dans le domaine contemporain [lire notre chronique du 10 février 2007], brûle les planches, au point de dominer haut la main. Des nombreuses difficultés vocales, elle se joue sans problème, trouvant même une élégance quasi surnaturelle à en surmonter les acrobaties frénétiques. Au bout du compte, elle réussit à émouvoir, grâce à une expressivité hors du commun. Le soprano gallois Fflur Wyn livre une Celia charmante, d’un colorature magnifiquement mené [lire notre chronique du 8 juillet 2011]. Le timbre possède une chaleur très agréable. Enfin, le rôle plus restreint d’Aufidio est confié au ténor clair de Ben Vishala Thapa qui, lui aussi, signe une prestation irréprochable.

Le spectacle est coproduit par le Buxton Festival et The English Concert, orchestre spécialisé dans les répertoires baroque et classique (dans le sens strict du terme, bien sûr). Laurence Cummings, dont nos colonnes saluaient les qualités au printemps [lire notre chronique du 28 mai 2017], signe une version tonique, avec un accompagnement parfois électrique des airs, propre à souligner la nature tragique de l’œuvre. Mais lorsqu’il s’agit de montrer le caractère più amabile de certains passages, le chef britannique réalise des arrêts sur images d’une tendresse incroyable, des cantabile à fendre l’âme, où il laisse percevoir ce que seront les grands opus de Mozart adulte. Le travail du Buxton Festival Chorus est exemplaire.

Linda Buchanan place l’action dans un décor évoquant la guerre civile par des graffitis, des échafaudages, plusieurs signes de destruction, où sévit une dictature d’aujourd’hui. Les costumes font se croiser différentes époques. Il revient aux lumières efficaces de Mike Gunning d’indiquer l’humeur de chaque scène. La mise en scène d’Harry Silverstein accorde confiance aux chanteurs qui, du coup, font vivre assez librement les personnages ; c’est un atout. En revanche, elle manque d’imagination dans les airs les plus longs lorsque survient le da capo, ce qui entraîne un statisme d’oratorio assez pauvre. Mais ce mince inconvénient est sans doute préférable à une prise en charge trop complète de l’argument à la manière de certains artistes à la mode qui, au bout du compte, oublient et desservent les opéras qu’ils sont censés servir.

HK