Chroniques

par gilles charlassier

Lucrezia Borgia | Lucrèce Borgia
opéra de Gaetano Donizetti

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 25 juillet 2011
Lucrezia Borgia, opéra de Gaetano Donizetti
© wilfried hösl

Après un Roberto Devereux créé en 2004 en ces murs pour Edita Gruberova – production qui fait partie de la tournée japonaise du Bayerische Staatsoper pendant l’Oktoberfest et qui, en février prochain, reviendra sur les planches de l’institution munichoise –, Christof Loy est revenu cinq ans plus tard lui tailler sur mesure une nouvelle scénographie pour une prise de rôle donizettienne.

La soirée ne commence pourtant pas sous les meilleurs augures.
Un plateau aussi inhospitalier qu’une clinique où est inscrit en lettres luminescentes le nom de l’héroïne pour tout décor, des figurants en culottes courtes : le régisseur allemand semble rejouer la même obsession vaguement infantophile dont ses Alceste [lire notre chronique du 6 juillet 2010] et Vêpres siciliennes [lire notre chronique du 4 mai 2011] postérieurs en sont les symptômes. À la fin du Prologue, les protagonistes s’animent, les pantalons retroussés retrouvent leur forme légitime, tandis que la femme rêvée par Gennaro s’avère être nulle autre que Lucrezia Borgia, auréolée d’une terrible réputation. Le spectacle prend alors sens, grâce à une Gruberova thaumaturge.

Barbara Drosihn a dessiné une tenue différente pour chacune des apparitions de l’héroïne. Ce kaléidoscope vestimentaire constitue l’un des deux pivots du travail de Christof Loy. D’abord en cinabre de souveraine, elle revient par la porte dessinée dans le pan de mur où son nom est scripturalement diodé – chacune de ses entrées se fait par cette ouverture – en pantalon tailleur et blonde peroxydée, enfin affublée d’une longue perruque poivrée de maléfice à l’heure où la réputation calomnieuse se fait réalité. Bouleversée par son excès de vengeance, elle enlève le masque du postiche capillaire et révèle à Gennaro qu’il est son fils. L’autre pivot du spectacle tient dans le glissement latéral progressif vers les coulisses du panneau où est gravé le blason de l’héroïne – schématisé par Henrik Ahr –, image mobile de l’inéluctabilité du destin. Après que Gennaro eût insulté l’enseigne des Borgia en y arrachant la lettre initiale, la translation en fait apparaître des variations non dénuées d’humour onomastique, tels « Zia Orgia » ou, plus dramatique, « Già ». Les potentialités du procédé excèdent peut-être l’usage qui en est ici fait.

La présence du soprano slovaque constitue bien évidemment l’attraction majeure de la soirée. Les cerbères de l’orthodoxie belcantiste crieront au blasphème. Les arrangements avec le matériau ne peuvent être nombrés, composant avec l’altération naturelle de la voix. On pourra relever plus d’un aigu à la maïeutique difficultueuse. Pourtant, une fois passé l’émission, que l’on craint parfois tatillonne, jamais la projection n’est prise en défaut. La partition semble cependant moins courtisane que celle d’Anna Bolena pour les piani de madame Gruberova [lire notre chronique du 14 février 2010]. Il n’en demeure pas moins que la diva magnétise la production. L’on ne peut que rester ébahi devant ce savoir-faire unique dans le maquillage des stigmates des ans. La crédibilité qu’elle apporte au personnage anecdotise les réserves du bon goût et assure, une fois de plus, sa légitimité sur la scène lyrique. Gruberova n’existerait pas qu’il faudrait l’inventer.

Il n’en faudrait pas pour autant reléguer les autres interprètes dans l’ombre.
Tout d’abord, le Gennaro de Pavol Breslik mérite une mention particulière. La lumière du timbre, le sens du style concourent à en faire un défenseur patenté de Donizetti. Silvia Tro Santafé brille en Maffio Orsini par un vibrato à la célérité un rien excessive, sans doute hérité de sa fréquentation du répertoire baroque, et qui met avantageusement en valeur les vocalises des couplets du second acte. Le mezzo espagnol a peut-être une émission çà ou là un peu serrée, la diction se montre en revanche exemplaire. Franco Vassalo recueille des applaudissements mérités en Don Alfonso.

Le reste de la distribution ne dépare guère l’ensemble.
On citera le Liverotto honnête de Nam Won Huh aux côtés du Gazella non moins correct de Christian Rieger. Le rôle de Petrucci revient à John Chest tandis que celui de Vitellozzo est confié aux soins de Dean Power. Emmanuele d’Aguanno et Bálint Szabó manigancent mémorablement sous les vêtements de Rustighello et Astolfo. Steven Humes incarne Gubetta et Julia Bachhuber apparaît en princesse Negroni.

Paolo Arrivabeni conduit avec énergie le Bayerische Staatsorchester, insufflant un dynamisme sans relâche à la partition, s’accentuant ostensiblement à la fin de chaque acte, au risque de l’excès sonore. La franchise des couleurs rassemble sans réserve les suffrages. Le Chor der Bayerischen Staatsoper est préparé avec efficacité par Stellario Fagone.

GC