Chroniques

par bertrand bolognesi

Ludwig van Beethoven | Fidelio (version de concert)
Adrianne Pieczonka, Michael Spyres, Albert Dohmen, etc

Basler Madrigalisten, Kammerorchester Basel, Giovanni Antonini
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 6 octobre 2018
Giovanni Antonini joue Fidelio de Beethoven au Théâtre des Champs-Élysées
© paolo morello

Sans vivacité excessive, les musiciens du Kammerorchester Basel ouvrent cette version de concert de l’unique opéra de Beethoven. Sous la leste battue de Giovanni Antonini – après une intégrale des symphonies de l’Allemand, à la tête de la formation suisse, le flûtiste grave par ailleurs, avec son Giardino Armonico, tout le passionnant corpus symphonique d’Haydn, mis en regard avec les contemporains du compositeur –, les ingrédients du drame sont immédiatement en œuvre, dans une lecture qui tire avantage d’une longue fréquentation des esthétiques baroques. L’haletante tonicité conjugue un sens précieux de l’équilibre qui favorise une mise en valeur des timbres – ceux des pupitres, et notamment les bois, mais encore ceux des chanteurs, quasiment flattés, si l’on peut dire. Sans se départir toutefois d’un classicisme respectueux, l’interprétation d’Antonini [photo], au fil de la soirée, fait redécouvrir de nombreux aspects de Fidelio que, se passant aisément de mise en scène, elle mène au delà de l’exercice théâtral. La gracieuse gravité qui prélude au second acte convoque des cuivres méphitiques comme il est rarement donné d’en entendre dans ce répertoire. Sans emphase ni coloration excessive, le chef italien cisèle vigoureusement une exécution passionnante.

Si l’on gardera longtemps en tête la plus que satisfaisante prestation des Basler Madrigalisten (dirigés par Raphael Immoos) qu’il convient de féliciter, le plateau vocal, bien que parfaitement caractérisé selon l’écriture des rôles, n’est pas tant idéal qu’on le pressentait. Certes, Michael Spyres possède l’éclat et la vaillance de Florestan, ce qu’annonçaient largement ses récentes apparitions [lire nos chroniques des 15 août, 8 juillet, 4 mai et 11 mars 2018, ainsi que des 15 septembre, 17 avril et 2 février 2017], mais après une entrée en force le ténor ne parvient pas à dominer une tension qui, sans le faire vaciller, est loin d’offrir quelque confort au phrasé. Rien de déshonorant, loin s’en faudrait, dans cette incarnation dont la foudroyante santé peut séduire, mais il n’y a guère d’émotion, vraisemblablement à cause d’une dynamique assez monolithique qui, loin de laisser entrevoir de portée plus élevée, se verrouille, à l’inverse de l’option orchestrale, dans un costume de scène. Comme plusieurs ouvrages – Salome, par exemple, à propos d’Iokanaan –, Fidelio est construit sur un livret qui décrit la voix de Florestan : Spyres ne le contredit pas, la nature exceptionnelle de ses moyens répond sans faille, même si l’ensemble du cahier des charges du rôle n’est pas complètement vérifié. Plus gênante s’avère la proposition de Sebastian Holecek en Pizarro. Peut-être par souci de pallier la rigueur d’une version de concert, le baryton-basse surjoue le méchant jusqu’à la caricature vocale, avec des sons heurtés, une projection brutale qui malmène l’intonation – nous continuons de croire qu’un Pizarro bien chantant demeure plus efficace et réellement effrayant.

Passé ces réserves, le plaisir est grand à goûter les cinq autres voix. La clarté rayonnante de Patrick Grahl favorise un Jaquino attachant. Agilité et fraîcheur rivalisent dans la délicieuse Marzelline de Regula Mühlemann dont on admire la ligne vocale fort pure [lire nos chroniques du 13 septembre 2017 et du 14 mars 2014]. Remarqué l’hiver dernier à Salzbourg dans le Requiem de Mozart [lire notre chronique du 3 décembre 2017], le jeune Matthias Winckhler prête à Fernando la noblesse requise, grâce à une basse au velours généreux dont il use avec une indicible musicalité. Dix ans après son noir Pizarro de Baden Baden, en compagnie de Claudio Abbado [lire notre chronique du 3 mai 2008], Albert Dohmen signe un Rocco au naturel confondant, tel qu’apprécié récemment à Genève [lire notre chronique du 12 juin 2015] ; au bon geôlier il prête une émission onctueuse et une évidente présence humaine. Enfin, on retrouve avec joie le soprano Adrianne Pieczonka en une Leonore qui touche à l’excellence ! La facilité du phrasé, l’évidence de la projection, l’assise sensuelle du timbre sont au service d’un chant loyal et aérien qui domine le concert [lire nos chroniques du 6 août 2004, du 14 septembre 2010, du 18 août 2012, des 22 juillet et 7 décembre 2013].

BB