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Chroniques
Luisa Miller
opéra de Giuseppe Verdi
L’intérêt d’une manifestation comme le Festival Verdi de Parme est de présenter chaque année l’œuvre du compositeur italien sous un angle enrichissant, sinon toujours novateur. Dans ce but, plusieurs possibilités, plus ou moins imaginatives, sont à la disposition des organisateurs. Tout en ayant choisi de produire I due Foscari, l’un des opéras verdiens encore très rares à la scène [lire notre chronique de la veille], Anna Maria Meo, qui dirige le théâtre, n’a pas dédaigné Luisa Miller, poursuivant ainsi l’exploration de titres moins connus du public, à la grande satisfaction du néophyte comme du plus connaisseur. La belle dame ne s’en tient pas là, puisqu’elle investit la cité parmesane en sortant la représentation de l’écrin dédié : en effet, ce n’est pas au Teatro Regio qu’est donné Luisa Miller, mais en l’Église San Francesco del Prato, à une dizaine de minutes de là, derrière le Palazzo Borri.
Lors des deux dernières éditions, nous avons vu Stiffelio et Le trouvère (en version française) au Teatro Farnese, splendeur architecturale du XVIIe siècle où sont alors intervenus des pointures de la mise en scène, comme Graham Vick et Bob Wilson [lire nos chroniques du 30 septembre 2017 et du 12 octobre 2018]. San Francesco del Prato est un immense sanctuaire gothique du XIIIe siècle, désacralisé à l'époque napoléonienne et utilisé jusqu’en 1993 comme prison municipale. Monumental, l’édifice est actuellement en travaux de restauration. Et c’est dans ce vaste chantier, parmi échafaudages, bâches, plateformes, poutres métalliques de soutènement et autres tubulures, que se tient le rendez-vous le plus expérimental du Festival Verdi 2019, chœur disposé dans les coursives circulaires, en surplomb de l’abside transformée en ère de jeu. Les spectateurs sont accueillis dans la nef centrale aux dimensions trop disproportionnées pour permettre à la plupart d’entre eux une visibilité convenable. À ce problème vient s’ajouter celui de l’acoustique qui n’autorise pas une approche vraiment précise de la représentation.
Obéissant à la louable volonté d’authenticité que je remarque ici pour la troisième année, le chef Roberto Abbado, directeur musical du festival, joue l’édition critique de cet opéra créé à Naples en 1849, une édition réalisée par le musicologue nord-américain et historien de la musique Jeffrey Kallberg, pour Ricordi, en 1991. S’agissant d’une coproduction avec l’Opéra de Bologne (en collaboration avec le Diocèse de Parme), c’est, en toute logique, les Orchestra e Coro del Teatro Comunale di Bologna que le maestro dirige pour l’occasion. Le rendu orchestral semble répondre à l’exigence de ciselure que l’œuvre réclame, et l’on veut bien deviner le raffinement d’une lecture dont tous les détails ne parviennent pas toujours jusqu’à nos oreilles. Trois caractères dominent, dans ce que l’on perçoit : la couleur, grâce à des instrumentistes qui connaissent cette musique comme nuls autres, la tension dramatique, adroitement menée par Abbado, en grand chef de théâtre lyrique qu’il est, enfin l’élégance qui le définit lui-même [lire nos chroniques d’I masnadieri, Le siège de Corinthe, I vespri siciliani, Norma et Mosè in Egitto]. Préparés par Alberto Malazzi, les choristes ne sont pas en peine et servent la représentation avec une conviction non feinte.
La distribution vocale est mise plusieurs foisen mauvaise posture par l’acoustique ingrate de l’église, mais l’étroitesse du plateau scénique de fortune compense parfois ce handicap : il faut donc lire mes prochaines remarques avec des pincettes. C’est néanmoins un plaisir de retrouver Riccardo Zanellato en Walter qu’il incarne avec cette intensité extraordinaire qu’on connaît bien à l’excellent verdien [lire nos chroniques d’Attila, Don Carlo, Simon Boccanegra, Macbet et Luisa Miller]. Gabriele Sagona, l’autre basse de la soirée, donne vie au traître Wurm avec une distance froide et inquiétante qui souligne habilement la perfidie du personnage. Le baryton Franco Vassallo possède tout ce qu’il faut pour faire un bon Miller, et la salle l’en félicite chaleureusement, d’ailleurs ! La surprise vient du ténor, avec le jeune Amadi Lagha dans le rôle de Rodolfo : l’impact est si net qu’il fait croire que l’acoustique favorise peut-être les voix aigues. L’ardeur de l’amoureux, la qualité des nuances, la lumière miraculeuse du timbre sont un vrai bonheur. Côté féminin, une autre bonne surprise : le jeune contralto Veta Pilipenko en Laura solidement tenue et d’une prometteuse richesse de couleur. Le mezzo-soprano Martina Belli ne fait pas défaut à la Duchesse d’Ostheim à laquelle elle donne une profondeur dramatique touchante. Enfin, Francesca Dotto utilise son soprano épicé dans une Luisa expressive et très lyriques.
Par le passé l’on a pu apprécier du Lev Dodin plus audacieux, c’est le moins qu’on puisse dire ! Dans ce lieu très contraignant, il est vrai, le metteur en scène russe concentre son travail dans la conception lumière de Damir Ismagilov pour définir les relations entre les personnages. Est-ce que cela suffit ? L’homme de théâtre ne pouvait-il pas se pencher plus sur la direction d’acteurs ?... Nous assistons à une espèce d’oratorio en costumes (Alexandre Borovsky), très statique, qui prend une dimension rituelle autour d’une table centrale où sont exécutées des noces funèbres. Le propre d’une expérience est de mettre à l’épreuve les moyens réunis pour un résultat optimal, il faut donc en accepter le jeu… et apaiser son chagrin dans un bon verre de Colli di Parma !
KO