Chroniques

par katy oberlé

Lulu
opéra d’Alban Berg

Staatsoper, Hambourg
- 18 février 2017
Christoph Marthaler signe une piètre Lulu (Berg) à Hambourg
© monika rittershaus

Pourquoi Friedrich Cerha s’est-il embêté à finir le troisième acte de Lulu que Berg, malade, ne put achever avant de mourir en 1935 ? La première de la version complétée est entrée dans l’histoire de l’opéra en 1979, avec la fameuse mise en scène de Patrice Chéreau au Palais Garnier, sous la direction musicale de Pierre Boulez. Depuis, on ne s’arrête plus à la fin de l’Acte II pour jouer simplement la Suite Lulu qui contient le Lied de la comtesse Geschwitz. Mais ce n’est pas ainsi que Kent Nagano et Christoph Marthaler ont envisagé la nouvelle production hambourgeoise de cette œuvre. Mieux valait, selon eux, accompagner au piano les fragments laissés par le compositeur, comme par un souci d’authenticité absolue. Sauf qu’ils ajoutent le Concerto à la mémoire d’un ange, ce qui paraît beaucoup moins scrupuleux ! à la mémoire d’un ange… « mein Engel » chante l’amoureuse : à force de chercher l’idée géniale qui marquera l’histoire de la mise en scène d’opéra, il arrive que les signataires se montrent d’une sottise inouïe.

À part cela, tout le spectacle est centré sur la Lulu de Barbara Hannigan, gymnaste, danseuse et bien moulée. Au cinéma et au théâtre, on s’en féliciterait. Sauf qu’on est à l’opéra et qu’on trouverait vraiment pas mal du tout que la chanteuse soit capable de chanter le rôle. La belle Barbara, dont on comprend facilement que tous les hommes du plateau s’éprennent au premier regard, aborde chaque phrase par-dessous, n’atteint jamais les hauteurs, détimbre au lieu de nuancer et crie dès que possible. On lui préfère largement Anne Sofie von Otter en Geschwitz, car même avec un instrument aujourd’hui fatigué, elle incarne vocalement le personnage, dans une fêlure très émouvante. Lyrique et vaillant, Peter Lodahl donne un Peintre des grands soirs, sans pour autant que le regard le place à l’antipode de l’héroïne : lui et Ivan Ludlov en Athlète sont à la fois bons chanteurs et beaux garçons, la robustesse du second valant la fougue du premier. Le plateau bénéficie de trois voix masculines idéales dans leurs attributions : Sergueï Leiferkus campe un Schigolch franchement assuré, pour son âge, la clarté du timbre de Matthias Klink nous vaut un Alwa parfait et le baryton-basse Jochen Schmeckenbecher, formidablement projeté, offre un Schön irréprochable.

On est plutôt déçu de s’être déplacée si loin pour une Lulu inepte.
La sécheresse de l’interprétation de Kent Nagano, à la tête du Philharmonisches Staatsorchester Hamburg, ne vient pas consoler. Cette version est exclusivement rugueuse, raide, tendue. Il lui arrive assez souvent d’être même bruyante. Sous les doigts de Bendix Dethleffsen, les fragments de Berg ajoutent une couche de sécheresse à la représentation. Et soudain, le Concerto à la mémoire d’un ange, avec son lyrisme qui tombe du ciel ! L’approche de la violoniste Veronika Eberle est vraiment somptueuse et l’orchestre, enfin, révèle des trésors – il était temps ! En fait, j’aurais été moins dépitée d’assister à un concert avec la Suite Lulu en première partie, puis le dernier opus du Viennois. Tant pis.

KO