Chroniques

par david verdier

Lulu
mise en scène de Robert Wilson – musique de Lou Reed

Festival d’Automne à Paris / Théâtre de la Ville
- 13 novembre 2011
Lulu, spectacle de Robert Wilson et Lou Reed, au Festival d'Automne à Paris
© dr

Deux ans après Die Dreigroschenoper, présenté sur la même scène du Théâtre de la Ville par le même Berliner Ensemble [lire notre chronique du 15 septembre 2009], Bob Wilson revient avec la Lulu de Frank Wedekind. Il est peu de dire que le teasing et le bouche à oreille avaient précédé la réputation de ce spectacle. La présence à l'affiche de Bob Wilson et Lou Reed semblait garantir la réunion d'un public venu d'horizons aussi divers que le rock, le théâtre et la musique contemporaine. Par un heureux hasard, le Festival d'Automne à Paris offrait une résonance avec l'opéra de Berg, monté au même moment à l'Opéra Bastille [lire notre chronique du 21 octobre 2011 et notre dossier d’octobre]. « Résonance » lointaine toutefois, tant la référence musicale cède ici la place à un changement total de style.

« Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate » – le rock envahissant vous emportera loin des rives de la seconde École de Vienne… Sur un autre plan, il n'est pas du tout certain que le niveau sonore de certains riffs de guitares électriques aient comblé les nostalgiques du Velvet Underground. Dans ce qui leur sert de fosse d'orchestre, un petit groupe de musiciens alterne instruments classiques (violoncelle, contrebasse) et instruments de rock (batterie, clavier, basse et guitare électrique). Les bruitages et les insertions de bandes enregistrées dessinent une trame sonore très contrastée en guise de « fond » de scène. Tous les acteurs sont équipés d'un système d'amplification qui capte jusqu'au moindre chuchotement et permet des zooms sonores à la fois sensuels et fort troublants. Efficace dans les standards (Sunday Morning, Perfect Day, etc.), la sonorisation est trop souvent assourdissante et tronçonne la pièce par des interventions musicales qui contraignent l'auditeur à protéger ses oreilles. Cette alternance de pics dynamiques et de silence total aboutit à une lassitude assez éprouvante sur les trois heures que dure le spectacle.

De son côté, Bob Wilson recycle un style devenu marque de fabrique – une sorte de griffe labélisée qui contraint la réalité à passer par un filtre signifiant très arbitraire (Ferdinand de Saussure n'aurait pas renié le travail du metteur en scène américain). De l'arbitraire à l'appauvrissement, il n'y a qu'un pas : force est de constater que le spectacle offre une image figée dans l'hyper-esthétisation des éléments du décor et des postures d'acteurs. On connaissait le goût de Wilson pour le théâtre Nô, on découvre son penchant pour les affichistes et les photographes des années trente. La géométrie anguleuse se marie à une palette de couleurs binaires assez sombres. Reste une impression rétinienne tenace de certaines scènes, qu'on ne s'étonnera pas de trouver dans le programme ou sur les affiches. Sur ce plan-là, au moins, on ne peut que saluer la réussite de certains moments qu'on qualifierait facilement de « plans » pour saluer l'aspect purement photogénique : les personnages en ombres chinoises alignés sur les étages, l'allée de cyprès et les lignes de fuite convergeant vers Lulu, immobile, ou bien l'éclairage du « bal des têtes » au dernier acte, façon masques d’Ensor.

Parmi les interprètes, Angela Winkler est le principal point d'attraction. Icône du cinéma allemand depuis L'Honneur perdu de Katharina Blum ou Le Tambour de Volker Schlöndorff (Die verlorene Ehre der Katharina Blum, 1975, et Die Blechtrommel, 1979) à La femme gauchère de Peter Handke (Die Linkshändige Frau, 1977), elle campe une Lulu atypique, loin des clichés traditionnels. Bob Wilson ne cherche pas à dissimuler l'âge de l'interprète en offrant du personnage pervers une approche plus cérébrale que réellement sensuelle. C'est d'ailleurs sur le terrain de l'intellect que se focalise l'intérêt, transfiguré par la gestique hiératique, sorte de désincarnation du désir ainsi tenu à distance. La mise en scène choisit de présenter le meurtre de Lulu dès le lever de rideau, ce qui renforce le degré d'irréel et de fatalité de la narration à suivre. Dans ce théâtre ou éthique et esthétique se rejoignent, l'émotion est tracée au cordeau, focalisée sur l'expression d'une beauté froide et distante.

DV