Chroniques

par bruno serrou

Lulu
opéra d’Alban Berg

Grand Théâtre, Genève
- 4 février 2010
Lulu, opéra d’Alban Berg, au Grand Théâtre de Genève
© gtg | gregory batardon

Précédée d'une sulfureuse réputation, mais en rienchoquanteconsidérant le sujet (quelle que soit la façon dont l'histoire de l'innocente et aguichante héroïne de Wedekind est traitée, l'opéra n'est pas à mettre entre les oreilles et devant les yeux de publics non avertis), l'approche d'Olivier Py de Lulu d'Alban Berg s'avère un grand moment de théâtre. L'on se demande pourquoi le Grand Théâtre a jugé nécessaire d'avertir la presse européenne du fait que le spectacle était interdit aux mineurs de moins de seize ans, ce qui, convenons-en, est à la fois risible et évident, tant le sujet n'a rien d'angélique ni d'enfantin.

Patricia Petibon est une fascinante Lulu.
Belle et sensuelle, la voix vif-argent, solide, égale, charnue, le soprano français campe une Lulu magnétique. Timbre chaud et coloré, Julia Juon est une radieuse Geschwitz. Pavlo Rankin est un Schön encore vert et impatient, ce que corrobore une voix manquant de noirceur. Ténor héroïque, Gerhard Siegel donne un Alwa aux élans tristaniens. À soixante-huit ans, Hartmut Welker est un jeune Schigolch, ce qui change des barytons basses de plus de soixante-quinze ans à qui est généralement confié ce rôle. À d'infimes exceptions près, l'ensemble de la distribution est de haut vol. Tout comme l'Orchestre de la Suisse Romande qui, dans la fosse, malgré un manque de chair et de sûreté des cordes, s'impose par la séduisante expressivité de ses bois et le brillant de ses cuivres. De toute évidence, Marc Albrecht aime cette partition, réussissant même à gommer les longueurs du premier tableau du troisième acte, le moins abouti de l'ensemble de l'œuvre car le plus marqué par la main de Friedrich Cehra, compositeur autrichien qui compléta la partition en 1976.

La mise en scène de Py s'impose d'abord par la qualité de sa direction d'acteur. Chaque personnage s'avère d'une vérité exceptionnelle, les interprètes s’y glissant avec naturel, sans gêne ni artifices. Apparaissant dès le début dans un collant chair où sont dessinés les attributs féminins, Patricia Petibon se libère peu à peu dans un premier acte un peu touffu qui se déploie sur un plateau saturé d'accessoires, tandis que, dans le fond, des techniciens poussent lentement un décor tournant donnant à voir diverses scènes de la vie quotidienne d'une métropole comme autant de saynètes d'un film. Olivier Py rebondit sur le prologue pour construire sa dramaturgie qui se déroule dans un chapiteau, avec clown triste (Schigolch), dompteur, ménagerie, homme singe, etc. Au point que le final ramène à ce même prologue, tous les êtres du cirque entourant Lulu crucifiée, nue. Ce seul final, d'ailleurs, pourra laisser dubitatif, avec la comtesse Geschwitz qui se pend avant que Jack l'Éventreur (Schön, déguisé en père Noël) apparaisse et trucide Lulu, puis égorge Geschwitz qui ressuscite pour un ultime adieu à Lulu, elle-même plantée à l'autre extrémité du plateau...

En revanche, ce qui suscita l'appréhension du théâtre ne choque pas, considérant le contexte de l'histoire et l'évolution du personnage central, pas même le film pornographique en noir et blanc aux images floues, projeté dans la salle de cinéma situé à l'aplomb du sous-sol londonien où se sont réfugiés Lulu, Geschwitz, Alwa et Schigolch. Pas davantage que les figurantes se promenant en string et poitrine à l'air une bonne partie du spectacle. Un moment de théâtre fantastique, l'interlude reliant les deux scènes de l'Acte II où, en lieu et place du film muet prévu par Berg, l'on voit en moins de trois minutes live l'arrestation, le procès et l'hospitalisation de l'héroïne au sommet d'un podium tournant.

BS