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Chroniques
L’amour coupable
opéra de Thierry Pécou
Inutile de le rappeler : c’est une gageure, et pas des moindres. La comparaison est rude, quand on prétend la relever, puisqu’on se mesure à deux des plus grands maîtres du genre : Mozart et Rossini. Pas facile, donc, et nullement innocent de se frotter à La mère coupable, troisième volet de la trilogie de Beaumarchais, après Le barbier de Séville et Le mariage de Figaro. Surtout quand ces deux autres ouvrages ont déjà marqué la saison de la maison normande, tous mis en scène par le même Stephan Grögler.
Et pourtant, cette contrainte même, qui n’est pas peu intimidante, est peut-être justement ce qui a aidé Thierry Pécou à surmonter (ou contourner) deux obstacles majeurs à la composition d’un opéra aujourd’hui : donner, par la musique, rythme et respiration à l’ouvrage, d’une part, et, d’autre part, trouver des lignes vocales claires et expressives (et clairement expressives). Deux aspects qui faisaient cruellement défaut à son précédent (et premier) opéra, Les sacrifiées [lire notre chronique du 11 janvier 2008]. Deux aspects que Pécou trouve dans L’amour coupable, notamment grâce au livret qui, adapté par Eugène Green, a tous les ingrédients des classiques dont il tient, un ton grinçant et sombre en plus.
En premier lieu, Thierry Pécou reprend – en se l’appropriant évidemment, en la déformant et la réadaptant – l’alternance traditionnelle airs/récitatifs. Il réintroduit le sempiternel clavecin – et avec quelle maestria, avec quel humour ! – et fait ainsi avancer l’action avec des récits qui tirent d’ailleurs souvent sur le parler, sans aucune perte de cohérence dans la dramaturgie. Dans une même volonté de réinvestir le moule archétypal de l’opéra, son écriture pour la voix est caressante et harmonieuse. Sans concession ni aucune tentation néo-quelconque, les lignes vocales restent d’une fraicheur pertinente, presque naturelle, et permettent également de jouissifs ensemble vocaux qui, sans imiter ceux de Mozart et Rossini, n’en ont pas moins l’éclat, le brillant et le pétillant. Avec ce timbre français qui distingue l’écriture vocale hexagonale depuis Ravel, si bien porté par Arnaud Marzorati (Béjart, le grand machiavel de l’intrigue), Edwin Crossley-Mercer (Almaviva), Gaëlle Méchaly (Suzanne) ou encore la piquante Natacha Kowalski (Florestine), avec une partition généreuse, riche et haute en couleur – bien servie par Jean Deroyer et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute Normandie –, qui transcende toute forme de dogmatisme d’avant-garde et n’en est que plus rafraîchissante, L’amour coupable est l’incarnation presque idéale de l’opéra d’aujourd’hui. Si elle ne s’alourdissait par moment de longs passages moraux ou plus ou moins philosophico-politiques (Pécou et Green ont choisi de replacer l’intrigue dans le contexte de 1793, en pleine Terreur), encore empesés par le ton excessivement tragique de la musique, cette comédie grinçante, à l’originalité sans ostentation, serait parfaite.
JS