Chroniques

par bertrand bolognesi

Márta et György Kurtág
cycle Bach|Kurtág, suite

Cité de la musique, Paris
- 22 septembre 2012

Ce quatrième rendez-vous du cycle Bach|Kurtág présenté par la Cité de la musique [lire nos chroniques du 20 septembre et du 21 septembre 2012] nous invite dans un atelier plus intime encore, puisque nous entendons ce soir les époux Kurtág, Márta et György, dans un de ces étonnants menus Játékok où sont conviés quelques Bach transcrits pour quatre mains, selon une formule désormais tant fameuse que sans cesse renouvelée. La première fois qu’il nous fut personnellement donné d’aborder ce type de récital, c’était à l’Institut Hongrois de Paris (d’ailleurs partenaire de ce cycle), à la fin des années quatre-vingt dix – l’expérience avait été un véritable choc. Avec la même émotion et un bonheur musical toujours décuplé, on retrouve régulièrement Márta et György depuis une bonne quinzaine d’années, ici ou là [lire nos chroniques du 20 août 2006 et du 2 novembre 2010].

Dédiée à la mémoire d’Haydée Chabagi (disparue en 2008) – jeune musicologue et femme de lettres proche de la musique d’aujourd’hui en général (Amy, Boulez, Sciarrino, etc.) et de celle de Kurtág en particulier –, la soirée est ouverte par Adieu, Haydée, deux pages que le compositeur lui avait écrites et qu’il joue dans une sorte de précautionneuse attention, tandis que Madame veille. S’ensuit Num komm, der Heiden Heiland BWV 599, Bach lumineux à la tendresse arrondie, aigus de cloches avec graves en creux, dans une respiration littéralement « vocale », recueillie.

Une bonne trentaine d’extraits de Játékok, vaste corpus pour piano, piano à quatre mains et deux pianos, commencé dès 1973 et encore in progress aujourd’hui – les quatre premiers volumes visent une portée pédagogique, tandis que la deuxième série s’intitule Entrées de journal intime, messages personnels (en tout huit recueils disponibles ; un neuvième est à paraître) –, sera donnée, sous l’œil bienveillant de Márta et les doigts de György, puis ensemble, puis par Márta dans le regard de György. Les mains s’enlacent furtivement pour L’homme n’est qu’une fleur, puis le chat sauvage de Nœuds bondit de son scherzo. Sonorité pleine des accords profonds de Prélude et choral, fragmentaire Antienne, puis lamentation bartókienne, parfum « ethnique », effleurement pédalisé (Jeu avec harmoniques), savante étude pour notes et accords piqués en résonnance et parfum d’En plein air précèdent les discrètes retrouvailles de …et encore une fois l’homme n’est qu’une fleur.

Complices, les Kurtág s’amusent dans la conversation de Coups-Querelle, serrent leurs déambulations dans Esquisse pour « Hölderlin » de János Pilinszky, « briquent » la couleur délicate de Cloches (hommage à Stravinsky), dont le carillon ralenti sa mort dans un ressort de bonbonnière, varient la première conversation dans un Choral furieux que tentent les monologues. Hoquetus fait la paix. La parole est à Márta. Cluster obstiné du Lapin têtu, moustille vaporeuse de Merran’s dream, petite arithmétique ravélienne de l’Hommage à Domenico Scarlatti, et ainsi de suite jusqu’à la petite chanson kodályenne Amour, amour, souffrance amère.

Tous deux donnent encore une Lamentation 1/a fort intriquée, un Hommage à Soproni avec lequel György passe désormais à la droite du clavier et un air de cymbalum transylvain (Hommage à Halmágyi). Si Aus tiefer Not schrei ich zu dir BWV 687 révèle peu à peu sa solide charpente, la Sonatine de la cantate BWV 106 « Gottes Zeit ist due allerbeste Zeit » s’impose en toute simplicité. Dans l’espace déployé du clavier la curieuse distorsion du Duo en sol majeur n°3 BWV 804 pose ses pas dans la douteuse assurance du funambule. Souple Das alte Jahr vergangen ist WBV 614, souveraine égalité du Sonate en trio en mi bémol majeur n°1 BWV 525 ; enfin, douce fluidité d’O Lamm Gottes unschuldig BWV 618. Il revient à Márta Kurtág de refermer les cahiers avec les répons « amollis », parcours las, peut-être laborieux, de Bribes de mémoire d’une colindă.

BB