Chroniques

par laurent bergnach

Márta Gődény commémore la Révolution hongroise
pièces de Bartók, Farkas, Kodály et Kurtág

YouTube / Institut culturel hongrois, Paris
- 15 mars 2021
Márta Gődény commémore la Révolution hongroise, à Paris, le 15 mars 2021
© dr

Le Printemps des peuples ! En 1848, nombre de révolutions voient le jour en Europe, que ce soit en France – conduisant à l’abdication de Louis-Philippe, dernier roi à la gouverner –, dans la Confédération germanique, les États italiens, mais encore en Hongrie. Depuis la bataille de Mohács en 1526, le royaume est aux mains des Habsbourg. Centralisé à Vienne, le gouvernement ne souhaite faire aucune concession. Or un courant libéral réclame la suppression des droits féodaux et davantage d’autonomie. Parmi ses porte-paroles se trouve le célèbre Lajos Kossuth (1802-1894) qui inspira au jeune Bartók sa première grande œuvre pour orchestre (1904). Le milieu intellectuel n’est pas en reste puisque le poète Sándor Petőfi (1823-1849) signe les strophes d’un Chant national qui appelle au soulèvement, avec la promesse de n’être plus jamais esclave. Si dans un premier temps l’aide du tsar Nicolas Ier permet de contenir la rébellion, l’indépendance se dessine finalement à l’effondrement de l’Empire austro-hongrois (1918).

Depuis 1928, le 15 mars marque l’une des trois fêtes nationales du pays. Pour commémorer ces événements historiques, l’Institut culturel hongrois propose la lecture de vers de Petőfi, la projection du film Kincsem (Gábor Herendi, Mon trésor, 2017) et des pièces de compositeurs hongrois sous les doigts de Márta Gődény. Son récital débute avec Ferenc Farkas (1905-2000). Élève de Respighi, le natif de Nagykanizsa s’intéresse, au terme de ses années romaines, au patrimoine musical de son pays, sur les pas de Bartók et Kodály – « je suis parti pour recueillir des mélodies chantées ou jouées par les paysans de Szabás et dans le comté de Somogy » – et expérimente une synthèse entre musique populaire et Novecento. Danses hongroises du XVIIème siècle existe en plusieurs versions, dont celle pour piano (1943). Trois sur cinq sont ici jouées, avec entrain pour Danse hongroise et Danse de Lazar Apor, de façon plus élégante et concentrée pour Chorea.

« À ceux qui ne savent pas quelle immense différence il y a entre les ornementations à la hongroise et à la tsigane, je conseillerais de prêter attention à la façon dont n’importe quel paysan hongrois utilise sa cornemuse ou son pipeau pour musiquer » (in Béla Bartók, Écrits, Contrechamps, 2006). Bartók (1881-1945) signe ces mots en 1911, au lendemain de collectes menées depuis l’été 1906 dans divers comitats (Pest, Tolna, Csongrád, Békés, etc.). Le but est de retrouver les sources de l’art national loin des Tsiganes, qui amalgament les emprunts slaves, et des serviteurs du style italien (Erkel, etc.). Il collecte également en Pays sicule, lequel « passe pour conserver la culture hongroise la plus archaïque », selon Claire Delamarche dans sa biographie du compositeur (Fayard, 2012) [lire notre critique de l’ouvrage]. De mélodies entendues à la flûte, Bartók tire Trois chants populaires du comitat de Csik (1907), sa première transcription du genre pour piano seul. L’interprétation s’avère fort nuancée, délicate en premier lieu, avant un final enlevé.

Les périples estivaux de Bartók l’amènent à réaliser l’originalité folklorique d’ethnies minoritaires et opprimées sur le territoire, les Slovaques et les Roumains (« mes chers Valaques »). D’où l’écriture de Quatre chants populaires slovaques (pour chant et piano, 1907) puis des Danses populaires roumaines (1915) dont les airs originaux sont collectés en Transylvanie, de 1910 à 1912. Globalement, ses six portions jouées à des tempi inattendus, parfois avec raideur, déconcertent. On leur préfère les trois extraits (VII, VIII et X) des Quatorze bagatelles (1908) conçues sous la double influence de Debussy et du chant populaire. Elles s’éloignent techniquement de Liszt et Brahms « au profit d’une écriture économe et concentrée où le piano se fait parfois percussif » (ibid.). Márta Gődény gère habilement les contrastes des morceaux choisis, tantôt tendres, tantôt rudes.

Un peu moins de cinq minutes suffisent à délivrer six extraits des Játékok, ce qui illustre bien le goût de leur créateur (né en 1926) pour le fragment et la concision – Prelúdium és valcer C-ben, Virág az ember... 1b, Talált tárgy, Butáskodjunk együtt, az ifjú ökölvívó derűsebb percei et ...és mégegyszer: Virág az ember... Proche du clavier, la caméra témoigne des « chorégraphies de jeu » que signale Krisztina Megyeri lorsqu’elle évoque son expérience de pianiste et de pédagogue avec cette œuvre ouverte (György Kurtág : les œuvres et leurs interprétations, Hermann, 2020) [lire notre critique de l’ouvrage]. Enfin, le récital s’achève avec Zoltán Kodály (1882-1967) que Bartók disait « le seul véritable connaisseur de la musique paysanne hongroise » (Nyugat, 1er février 1921). Prévu pour célébrer le cinquantenaire de la réunification de Buda et de Pest (1923), Danses de Marosszék est finalement publié en 1930, année de la création de sa version orchestrale. Márta Gődény en livre une lecture qui ne manque pas d’héroïsme.

LB