Chroniques

par vincent guillemin

Mârouf, savetier du Caire
opéra-comique d’Henri Rabaud

Opéra Comique, Paris
- 27 mai 2013
résurrection de Mârouf, l'opéra d'Henri Rabaud, à la salle Favart (Paris)
© pierre grosbois

« Voici un événement extraordinaire et vraiment imprévu : le Théatre National de l’Opéra Comique vient de jouer un opéra-comique ! ». Voici par quel accueil le critique Paul Souday a salué dans L’Éclair en 1914 la création du Mârouf d’Henri Rabaud.

Cette œuvre orientaliste s’inscrit dans la mode d’une époque où l’apogée du colonialisme – la Guerre ne fait que commencer – et les voyages devenus fréquents font découvrir le monde au Paris des Expositions Universelles et des Ballets Russes. Point fort de l’opéra, la facture orchestrale intègre des thèmes orientaux, rappelant Samson et Dalila de Saint-Saëns ou les pièces de Ravel, d’où se dégage un agréable parfum d’exotisme. La comparaison avec le Sacre du printemps créé l’année précédente ou les accords du Tristan und Isolde de Wagner faite dans la brochure de salle semble, en revanche, plus osée : Mârouf est un joli opéra-comique, non un chef-d’œuvre.

Dans un grand soir, l’Orchestre Philharmonique de Radio France fait parfaitement ressortir les effluves orchestraux d’une partition soignée, appuyée par l’excellente direction d’Alain Altinoglu, très attentionné et surtout fort lyrique. Les instruments, aux couleurs françaises si juste ici, répondent avec vivacité, montrant qu’ils peuvent, s’ils le souhaitent, concurrencer sur leur terrain ceux de l’Opéra.

Beaucoup plus faibles, les parties vocales laissent déplorer de ne trouver, en plus de deux heures et demi de musique, qu’un air digne de ce nom, dévolue à la princesse (fin de l’Acte III), et dont le thème rappelle d’ailleurs La vie en rose de Piaf. Les deux derniers actes sembleront donc bien longs aux personnes pensant que l’opéra gagnerait en qualité après l’entracte, car Rabaud a certes souhaité éviter les alternances parler-chanter qui sont de mise dans l’opéra-comique, mais nous aurions souhaité qu’il pût passer plus de temps sur certaines mesures vocales.

Parmi des voix masculines de qualité se démarque le Mârouf de Jean-Sébastien Bou, aussi convaincant chanteur qu’acteur à faire vivre son personnage d’homme battu par sa femme. Nicolas Courjal chante un beau Sultan qui donne envie de suivre l’artiste dans le rare Roi d’Ys de Lalo et dans Les Troyens, ces prochaines saisons. Côté féminin, Doris Lamprecht est une Calamiteuse très impliquée dont le timbre aigre manque tout de même de charme, adjectif qui correspond plus à la Saamcheddine de Nathalie Manfrino dont la voix n’est jamais mise en difficulté par l’écriture de Rabaud – sorti il y a peu, l’enregistrement de la Lodoïska de Cherubini permettra de juger plus avant de ses qualités comme de ses limites [lire notre critique du CD].

Sans prendre aucun risque, la mise en scène de Jérôme Deschamps – dont la production associe les bons soins du Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française de Venise) – soutient l’action et l’humour du livret par des décors (Olivia Fercioni) manquants quelque peu d’exotisme mais des costumes « potaches » (Vanessa Sannino) qui participent à la vis comica de la représentation, malgré une salle avare en rires – l’opéra n’est-il forcément qu’art sérieux et élitiste ?... La compagnie bruxelloise Peeping Tom intègre joliment l’action à travers une chorégraphie charnelle, ballet exécuté par des danseurs empruntant leurs traits aux héros d’Avatar ; dans le style de Michael Jackson, la danse de l’âne (Acte V) fait un jolie parallèle avec l’âne comique du film animé Schrek.

Un opéra-comique français à Paris, quelle drôle d’idée ! Et pourtant, soutenu par des interprètes de ce niveau, nous en oublierions presque certaines faiblesses de l’œuvre !

VG